Sunday, September 30, 2012

Militer pour plus de raison

Il est difficile, face à certains évènements, tels que les manifestations violentes et les meurtres déclenchés par la diffusion de Innocence of Muslims, de ne pas se sentir complètement impuissant. Je suis conscient qu'il s'agit de la réaction d'une minorité extrémiste, manipulée, mais c'est l'occasion pour les religieux dits modérés, y compris dans les pays occidentaux, de remettre la question de la législation antiblasphème sur le tapis, en particulier, et de promouvoir une certaine limitation de la liberté d'expression, plus généralement. Extrémisme ou modération, une chose est certaine : ce n'est pas le monde dans lequel j'ai envie de voir mes enfants grandir.

Je suis convaincu que l'humanité progressera, ira vers plus de paix, plus de bonheur pour le plus grand nombre, en s'efforçant de faire appel à la raison, à la science, à l'art et à la philosophie, pas en tolérant les superstitions sous toutes leurs formes (religions y compris) et l'affaiblissement des libertés acquises péniblement au fil des siècles.

C'est ma position depuis maintenant des années. Cependant, cette prise de conscience, seule, ne me suffit pas. Comme Daniel Miessler ("Be as least worthy of a Wikipedia entry."), je n'ai pas l'intention de traverser ma vie en me contentant du minimum (naître, perpétuer l'espèce, mourir). Je suis bien déterminé à avoir une influence positive, n'importe laquelle, sur le monde dans lequel je vis. Ou, tout du moins, sur mon entourage, car il serait illusoire de penser que je puisse changer l'opinion de lointaines foules enragées.

De toute évidence, lorsque j'aurai des enfants, je m'efforcerai de cultiver leur curiosité. Je leur apprendrai que la science est le meilleur outil que nous avons à disposition pour comprendre la réalité qui nous entoure. J'essaierai de leur transmettre un goût pour l'art et la philosophie. Je leur transmettrai mes valeurs morales. Je ferai en sorte qu'à leur tour, ils aient envie d'avoir un impact positif sur leurs contemporains. Tout du moins, c'est ce que je compte faire. Naïvement, je le sais.

En attendant, j'essaie d'avoir une influence, aussi faible soit-elle, sur ma famille, mes amis et mes collègues, simplement en discutant, de vive voix, sur Twitter, Facebook ou mon blog. Si j'arrive à convaincre ne serait-ce qu'une seule personne de se passer de viande, que la religion est inutile, voire néfaste, ou que l'homéopathie n'est qu'un attrape-nigaud, par exemple, je considérerai ma mission comme accomplie. Jusqu'à présent, force est de constater que ce but apparemment peu ambitieux est pourtant difficile à atteindre.

Parfois, je crains tout de même de passer pour un "rabat-joie", pour une personne qui passe son temps à critiquer négativement les croyances des gens, qui met toujours tout en question. On me taxera peut-être d'immodestie, mais je pense que je peux aussi être un exemple positif pour les autres. En étant végétarien (depuis 1997), je suis la preuve vivante qu'il est possible de se passer complètement de chaire animale. Sans beaucoup d'efforts, soit dit en passant. En célébrant un "grand" mariage civil, en présence de nos familles et de nos amis, ma femme et moi avons montré qu'il était possible de faire une belle cérémonie de mariage, en faisant complètement abstraction de la religion, ce qui est encore loin d'être une évidence, en tout cas dans la région d'où nous sommes originaires.

Au final, j'aime penser que je pratique une sorte de "militantisme pacifique". Certes, j'ai encore bien des progrès à réaliser, en particulier lorsque je débats oralement de questions sensibles ou qui me tiennent à coeur (politique, religion, morale, etc.), mais j'ai la ferme intention de m'améliorer. Et de changer le monde, à ma manière, comme chacun de nous a le pouvoir de le faire : avec un peu plus de raison.

Mise à jour (3 octobre 2012). Une bonne nouvelle : "Diffamation des religions : échec de l’Egypte à l’ONU". Le sujet risque néanmoins de refaire son apparition en 2013.

Tuesday, April 10, 2012

Bad Science: some excerpts


About science, religion, and alternative medicine (I agree that alternative medicine is a form of "religion"):
"Just as the Big Bang theory is far more interesting than the creation story in Genesis, so the story that science can tell us about the natural world is far more interesting than any fable about magic pills concocted by an alternative therapist."
About the placebo effect (it's not a full definition, but it's an elegant way to put it):
"The placebo is not about the mechanics of a sugar pill, it is about the cultural meaning of an intervention, which includes, amongst other things, your expectations, and the expectations of the people tending to you and measuring you."
About publication bias (an example of Ben Goldacre's sense of humor):
"Not only has publication bias been demonstrated in many fields of medicine, but a paper has even found evidence of publication bias in studies of publication bias. Here is the funnel plot for that paper. This is what passes for humour in the world of evidence-based medicine."
About intuition (as a software engineer, I would say that intuitions are "heuristics" that are subject to cognitive biases):
"Intuitions are valuable for all kinds of things, especially in the social domain: deciding if your girlfriend is cheating on you, perhaps, or whether a business partner is trustworthy. But for mathematical issues, or assessing causal relationships, intuitions are often completely wrong, because they rely on shortcuts which have arisen as handy ways to solve complex cognitive problems rapidly, but at a cost of inaccuracies, misfires and oversensitivity."
About criticizing both "big pharma" and alternative medicine:
"Just because big pharma can behave badly, that does not mean that sugar pills work better than placebo, nor does it mean that MMR causes autism."

Monday, April 9, 2012

Bad Science : lutter contre la "mauvaise" science

Je viens de terminer la lecture de Bad Science de Ben Goldacre. Je ne peux que vivement recommander ce livre - dont il n'existe malheureusement pas de traduction française. Si le temps vous manque, vous pouvez regarder la présentation TED "Battling bad science", qui dure moins de quinze minutes.

En résumé, Ben Goldacre est un médecin britannique, passionné par son métier et par la science en général. Sa capacité de vulgarisation et son humour rendent la lecture de son livre passionnante. De nombreux sujets liés à la santé sont abordés : la détoxication, les produits de beauté, l'homéopathie, l'effet placebo, les nutritionistes, les compléments alimentaires, les antioxidants, la médecine fondée sur les faits (evidence-based medicine), les (bons et mauvais) essais cliniques, les biais cognitifs ("Pourquoi les gens intelligents ont des croyances stupides"), la statistique et bien d'autres encore. Le but de son livre est d'éduquer, mais aussi de dénoncer la manière dont la science est représentée, de manière erronée, dans les médias grand public. Goldacre ne mâche pas ses mots. Sa passion est évidente. Il n'hésite pas à attaquer vigoureusement quelques personnes en particulier (Gillian McKeith, Patrick Holford et Andrew Wakefield, entre autres). Evidemment, la médecine alternative en prend pour son grade, mais la médecine conventionnelle aussi. L'industrie pharmaceutique, notamment, n'échappe pas aux critiques de Goldacre, à qui on ne peut donc pas reprocher de ne pas balayer devant sa porte.

Un passage, dans le dernier chapitre, a tout particulièrement retenu mon attention (traduction approximative par mes soins) :
"(...) mais il y a aussi eu une accélération de la complexité [de la science], récemment. Il y a cinquante ans, vous pouviez expliquer le fonctionnement d'une radio AM sur le dos d'une serviette en papier, en utilisant uniquement des connaissances scientifiques scolaires, et vous pouviez construire un récepteur à cristal quasiment identique à la radio de votre voiture dans une salle de classe. Lorsque vos parents étaient jeunes, ils pouvaient réparer leur voiture et comprendre la science qui se cachait derrière la plupart des technologies qu'ils rencontraient dans la vie courante, mais ça n'est désormais plus le cas. De nos jours, même un geek aurait de la peine à expliquer comment son téléphone mobile fonctionne, parce que la technologie est devenue plus difficile à comprendre et, donc, à expliquer (...)"
Le message de Goldacre dépasse donc le domaine de la santé. C'est bien toute la science qui est devenue complexe et le besoin de la vulgariser se fait de plus en plus cruellement ressentir. En tant que scientifique, c'est un sujet qui me travaille depuis des années. Parce que de nombreux domaines m'intéressent et que je n'ai pas le temps de les étudier en détail, mais aussi parce que je pense, comme Goldacre, que la société en général pourrait profiter d'une meilleure compréhension de la science.

Je me joins donc à lui dans son appel au "réveil" de tous les scientifiques de ce monde : il est de notre devoir de vulgariser cette science que nous aimons, de l'expliquer aux gens autour de nous, de la rendre accessible, par quelque moyen que ce soit. Aucun effort n'est inutile. Chaque pas dans la bonne direction compte.

Monday, March 12, 2012

Driverless cars and speech recognition that "work"

"If you're still not convinced that driver-less cars are almost there: http://ping.fm/PAnrz ("The fact that you’re still driving is a bug")"
To which @avernet replied (noting that "almost" is ambiguous):
"@obruchez Almost here, like voice recognition that works?"
My reply (pinpointing another ambiguity):
"@avernet Define "work" and I'll answer. :) But, more seriously, I think that average voice recognition is way harder than average driving."
A definition of "work" is given:
"@obruchez Let's define "work", very informally, as "you and I use it on a regular basis, and are happy with it"."
I was then asked to predict when speech recognition and driverless cars will be "good enough":
"@obruchez With that, in which year would you predict speech recognition and self-driving car will "work"? #longbets"
This is me thinking out loud:
"@avernet This is tricky. I really feel there's a way bigger gap between "working" speech recognition and "really good" speech recognition..."
"@avernet ...than between "working" self-driving cars and "really good" self-driving cars. Let me think about it."
Finally, here's my prediction:
"@avernet I asked my Magic 8-Ball and here's what I got: speech recognition that "works" -> 2018 and self-driving cars that "work" -> 2024."
"@obruchez I'd say speech recognition I'd use is just around the corner, but it's been 15 years I say that, so you might be right with 2018."
"@avernet My reasoning exactly ("just around the corner" for years). Plus speech recognition in French is lagging (and that's what I'd need)."
"@obruchez It might be longer for self-driving car. For legal reasons manufacturers won't risk it until they are *much* better than humans."
"@avernet I agree. But we have "working" prototypes right *now*. And humans are really *bad* at driving (>30000 deaths per year in the US!)."
And here's the reason for this blog post (a tweet by @ebruchez):
"@obruchez @avernet We should be tracking those predictions."
So, see you in 2018 for a debate about the meaning of "regular basis" and "happy", and about the reasons why long-term bets are difficult (for more serious examples, see "How My Predictions Are Faring" by Ray Kurzweil). ;-)

Update (August 28, 2012). See the post "Self-driving cars in 2019, report says" on kurzweilai.net. I think I'm being a bit too pessimistic with my prediction (2024).

Update (September 27, 2012). And yet another optimistic article: "Self-driving cars a reality for 'ordinary people' within 5 years, says Google's Sergey Brin" (within 5 years = by 2017, i.e. seven years before 2024 - my prediction).

Update (January 3, 2014). Another more conservative article: "Fully self-driving cars expected by 2030, says forecast" ("Self-driving cars (SDC) that include driver control are expected to hit highways around the globe before 2025 and self-driving “only” cars (only the car drives) are anticipated around 2030").

Saturday, March 10, 2012

City Disc et le prix unique du livre

Il y a quelques jours, il a été annoncé que City Disc, la dernière chaîne de magasins de disques suisse, va bientôt disparaître. Orange Suisse, propriétaire de la chaîne, va apparemment transformer les enseignes actuelles en points de vente Orange traditionnels, dès le 1er avril 2012. "La fin d'une époque", commente 20 Minutes.

C'est vrai que j'en ai passé du temps, dans les magasins de disques ! Mon premier achat musical date de 1993. Selon mes notes personnelles, j'ai acheté chez City Disc des classiques tels que Kind of Blue de Miles Davis, My Song de Keith Jarrett, Heavy Weather de Weather Report ou Sign 'O' The Times de Prince. Selon ces mêmes notes, j'ai acheté mon dernier disque dans un magasin "physique" (un brick-and-mortar store, en anglais) en 2005, chez MediaMarkt, une chaîne de distribution allemande spécialisée dans l'électronique et l'électroménager.

Pourtant, depuis, je n'ai pas cessé d'acheter de la musique. Certes, ces dernières années, mes achats musicaux ne sont plus aussi nombreux qu'il y a quinze ans, mais cela est surtout dû au fait que ma collection musicale commence à "suffire". Parmi les enregistrements que je considère comme des classiques, certains ont probablement déjà été écoutés des dizaines, voire des centaines de fois. Outre ce phénomène, il y a aussi celui des achats sur Internet, dans des magasins tels qu'Amazon ou Fnac, mais aussi directement sur les sites officiels des labels (ECM Records, par exemple), ceux des musiciens ou encore sur des sites de ventes aux enchères (donc via des particuliers). Ce ne sont pas les alternatives qui manquent.

J'ouvre ici une parenthèse pour préciser que, oui, en 2012, j'achète encore des CD sur Internet. Des morceaux de plastique et de papier, envoyés physiquement par la poste. Les gens qui me connaissent verront peut-être là un paradoxe, car je préfère, autant que possible, une alternative complètement "dématérialisée", pour mes médias (musique, vidéos, livres, documents, etc.). L'explication est simple : je ne supporte pas l'idée d'acheter ma musique au format MP3. Pourtant, je ne me considère par comme un audiophile. Je serais bien incapable de faire la différence entre un MP3 bien encodé et un fichier lossless (au format FLAC, par exemple, que j'utilise pour stocker toute ma collection musicale). Le format MP3 souffre toutefois de certains défauts :
  • bien que certaines solutions à ce problème existent, il ne s'agit pas d'un format gapless ;
  • selon le débit et l'encodeur utilisés, il y a toujours un risque que le résultat soit réellement mauvais (et que mêmes mes oreilles peu entraînées puissent faire la différence avec une source non-compressée) ;
  • en cas de réencodage dans un autre format (Vorbis ou AAC, par exemple), des artefacts de transcodage, bien réels, à nouveau, peuvent apparaître.
Certains magasins en ligne vendent de la musique dans des formats lossless, sans DRM et avec les livrets au format PDF, comme par exemple HDtracks, mais le choix est encore malheureusement restreint. J'espère vraiment que le CD meure complètement ces prochaines années et que les alternatives fleurissent. Et je referme ici la parenthèse.

Il y a un peu moins de cinq ans, je m'exprimais, non sans une certaine nostalgie, sur la disparition des petites salles de cinéma de Lausanne. Aujourd'hui, c'est quasiment sans nostalgie que j'assiste à la fermeture des magasins de disque et ce sera aussi sans nostalgie que j'assisterai à la fermeture des librairies. Difficile, ici, de ne pas mentionner la votation populaire sur le prix unique du livre du 11 mars 2012 en Suisse. Je cite le troisième argument listé sur le site oui-au-livre.ch : "[Le prix unique du livre] contribue au maintien de librairies partout en Suisse. (...) Sans une réglementation appropriée, les lecteurs des plus petites villes et des régions périphériques risquent fort de ne plus bénéficier d’une offre variée et de conseils personnalisés." Cela aurait pu être vrai il y a quelques années à peine (pour l'offre variée, en tout cas), mais il me semble que c'est un argument qui, en 2012, manque particulièrement de perspective. Le livre électronique suit la musique en ligne avec à peine 5-10 ans de retard. Dans quelques années, les "liseuses" seront moins chères, offriront une meilleure qualité graphique, une surface de lecture plus grande, etc. Le livre électronique se démocratise à une vitesse impressionnante. Il est quasiment certain qu'il aura le même succès dans quelques années que la musique en ligne aujourd'hui.

Evidemment, le livre en papier a encore de beaux jours devant lui. La question n'est pas là. Il y aura toujours un marché pour les vieux livres et les éditions plus luxueuses (je pense, par exemple, à la Pléiade). Tout comme il y a toujours un marché aujourd'hui pour les vinyles, neufs ou de collection. D'un certain point de vue, en passant à des formats dématérialisés, on pourrait dire qu'il y a un appauvrissement du rituel de l'écoute et de la lecture. Bien qu'étant né quasiment en même temps que le disque compact, je suis familier avec le "rituel du vinyle" : sortir le disque de sa pochette, le déposer sur le tourne-disque, regarder le bras se déplacer au-dessus des sillons, se lever à la moitié d'un album pour changer de face, etc. De même, pour un livre, je comprends qu'on puisse apprécier le toucher du papier, son odeur, feuilleter les pages, etc. Ecouter un morceau de musique sur son iPhone ou lire un livre sur son Kindle n'a peut-être pas le même charme. Pourtant, je n'ai jamais autant écouté de musique et autant lu que maintenant. C'est pour moi un retour à l'essentiel. A la musique. Au texte. La disparition de l'objet physique peut être déroutante, mais rien n'empêche de trouver d'autres rituels, si vraiment le besoin est là. Pour moi, ça n'est pas le plus important. Tout comme la musique et le musicien sont plus importants que le magasin de disques, le texte et l'écrivain sont plus importants que la librairie. Ne nous trompons pas de combat.

Tuesday, February 28, 2012

Le juste milieu

Comme beaucoup de gens, sans doute, il m'arrive régulièrement d'avoir des discussions assez mouvementées concernant des sujets qui me tiennent à cœur. Je me considère comme un sceptique, donc j'ai fréquemment l'occasion de dénoncer nombre de pseudo-sciences, telles que les médecines alternatives et complémentaires (homéopathie, acupuncture, etc.), l'astrologie, les effets de la lune sur la pousse des poils et bien d'autres inepties. Les légendes urbaines et autres théories du complot n'échappent pas cette habitude. En tant qu'athée, je pointe régulièrement du doigt les incohérences et les paradoxes inhérents aux croyances religieuses.

J'espère avoir l'occasion d'en parler plus en détail dans un futur article, mais j'ai également un certain nombre de "croyances" loin d'être partagées par tout le monde : existence d'une réalité matérielle et objective unique - position réaliste et matérialiste, sauf erreur -, absence de libre-arbitre, possibilité que l'être humain crée une intelligence égale puis supérieure à la sienne dans le siècle à venir, végétarisme, etc.

A plusieurs reprises, ces derniers temps, on m'a fait remarquer que la vérité se trouvait probablement "au milieu". Ou qu'il "fallait trouver un juste milieu". Je ne sais plus. Quelque chose de cet ordre-là. Plus récemment, on m'a fait remarquer qu'entre croyance et scepticisme, "il fallait un certain équilibre".

Que répondre à cela ?

Tout d'abord, que si on peut attribuer une certaine vertu à la modération, celle-ci souffre de nombreuses exceptions. Quel est le "juste équilibre" en matière de pédophilie ou de viol ? Quel est le "juste milieu" lorsque l'on parle de famine, de pauvreté ou de violence conjugale ? Le concept perd là tout son sens.

Ensuite, que cet "argument" (argumentum ad temperantiam) reflète surtout un manque d'imagination et ne signifie guère plus que celui qui l'utilise pense représenter, à tort ou à raison, cette position "intermédiaire", juste, entre deux extrêmes.

Je me demande, d'ailleurs, à quel point cette impression d'avoir une position "raisonnable", bien "équilibrée", est répandue au sein de la population. Il doit y avoir là un biais cognitif, mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Je vais me risquer à émettre une hypothèse : ce sentiment provient probablement du fait que toute position très différente de la nôtre paraît, a priori, extrême. (Voir, à ce sujet, l'article "The Myth of Militant Atheism".)

Pour ce qui est de mon scepticisme, il paraîtra excessif pour une grande partie de mes interlocuteurs, mais, de mon point de vue, je passe mon temps à accepter les choses sans les remettre en question (ou très peu, tout du moins). Par exemple, au volant de ma voiture, à un carrefour, je pourrais me demander systématiquement si le feu est bien vert, si je ne risque pas ma vie en ne m'arrêtant pas. Tout compte fait, le modèle que je me fais de la réalité n'est qu'une construction réalisée à partir de signaux électrochimiques envoyés à mon cerveau via mes nerfs optiques (et auditifs, olfactifs, etc.). Qu'est-ce qui me garantit que cette image n'est pas une simulation ? Un mirage ? Un rêve ? Un tour joué par un extra-terrestre ou un dieu doté d'un sens de l'humour incertain ? Rien. Je fais pourtant le pari, en permanence, que ce que mes yeux ou mes oreilles me rapportent du monde réel le représente à peu près fidèlement. Pour moi, c'est ma position qui semble correspondre au "juste milieu" en matière de croyance et de scepticisme.

En fin de compte, il n'y a que des positions plus ou moins défendables intellectuellement. Parfois, la position la plus juste (i.e. la plus défendable) se situe à ce que l'on perçoit comme un extrême. Parfois, elle se situe proche de ce que l'on identifie comme un centre situé entre deux extrêmes opposés. Toutefois, tout cela reste une construction mentale, limitée par nos connaissances et notre imagination.

Mise à jour (7 avril 2012). Cette "tyrannie de l'équilibre" est aussi dénoncée par Paul Grugman dans son article "The Centrist Cop-Out" à propos des Démocrates, des Républicains et du centrisme.

Mise à jour (17 avril 2012). Et encore un argument contre cette illusion du "juste milieu", donné, cette fois-ci, par Bill Maher : "Bill Maher on The Rally to Restore Sanity and/or Fear". (En passant, je peux aussi recommander son documentaire Religulous.)

Mise à jour (23 août 2012). Encore un exemple qui montre que le concept d'extrême (et, donc, de juste milieu) est erroné et mène facilement à une forme de malhonnêteté intellectuelle : "We’re Not on Opposite Sides of the Spectrum".

Mise à jour (16 août 2018). Je découvre avec plaisir aujourd'hui la BD "Je suis une vegan modérée." d'Insolente Veggie, qui exprime bien mieux que moi (un dessin, ça aide toujours !) l'idée que ça n'est pas le milieu qu'il faut viser, mais le juste. Il y a toujours plus extrême que la position qui nous déplaît et le "juste milieu" est donc rarement là on s'imagine qu'il se trouve.

Sunday, February 12, 2012

Metropolis

Récemment, je suis allé voir une projection de Metropolis, de Fritz Lang, au Bourg, à Lausanne. Il s'agissait de la version restaurée de 2010. La bande-son, de la musique électronique, était assurée par Bit-Tuner, un musicien suisse allemand. C'était une expérience... disons... déroutante !

Le premier point marquant, pour moi, était le lieu : le Bourg. Initialement, une des nombreuses salles de cinéma "disparues" de Lausanne (avec l'Athénée, l'ABC, l'Eldorado, le Palace et bien d'autres, que je fréquentais lorsque j'étais étudiant), le Bourg est devenu en 2005 une salle de spectacle (concerts, théâtre, etc.). La projection de l'un des films muets les plus connus dans cet endroit était donc un clin d'oeil bienvenu.

Le second point marquant était la présence de ces vingt-cinq minutes retrouvées en 2008 à Buenos Aires, que l'on pensait perdues à tout jamais. Ces séquences "inédites" proviennent d'une copie de très mauvaise qualité du film. Leur présence, parmi des séquences de meilleure qualité, donne au film un côté mystérieux. Les scènes encore manquantes, décrites par des intertitres, parachèvent ce sentiment de film qui revient de loin. Face à une oeuvre aussi ambitieuse, mais incomplète, je ne peux m'empêcher de penser au Château de Kafka (dans un autre style, puisque ce roman n'a jamais été achevé - mais l'oeuvre de Kafka revient également de loin, ayant survécu contre sa volonté, grâce à son ami Max Brod).

Enfin, c'était la première fois que je regardais un film muet, en tout cas aussi long (je n'arrive pas à me souvenir avec certitude si j'ai déjà vu Les Temps Modernes ou Les Lumières de la ville dans leur intégralité). C'est d'ailleurs le principal intérêt d'aller encore au cinéma, pour moi : la garantie d'être moins dérangé ou, du moins, d'être moins tenté d'interrompre la visualisation d'un film pour faire autre chose. Et, de la concentration, il en faut, pour regarder un film muet de 145 minutes ! En même temps, l'imagination est mise à contribution et il est difficile de décoller les yeux de l'écran.

Pas de bande-son originale pour Metropolis, donc, mais une bande-son live, jouée par Bit-Tuner. Une musique définitivement d'une autre époque que le film lui-même, mais en même temps très adaptée au côté science-fiction de l'oeuvre. Une superposition temporelle de plus, qui rend l'expérience unique, au sens propre, comme au sens figuré.

Un film sans couleurs et sans son, mais encore capable, 85 ans plus tard, de nous captiver et de nous emmener dans son univers trouble et futuriste. A méditer...

Sunday, October 23, 2011

Les médecines alternatives, une nouvelle religion ?

L’expression “médecine alternative” (ou médecine “douce”, “complémentaire”, “parallèle”, etc.) regroupe en réalité de nombreuses pratiques, très différentes les unes des autres. Mon but n’est pas ici de discuter leurs mérites (ou, le plus souvent, absence de mérites) respectifs ou de présenter en détail ce qu’est l’effet placebo, mais de faire un parallèle avec la religion. Y compris dans ses dangers, car la médecine alternative tue régulièrement (exemples récents : Steve Jobs et un enfant italien de trois ans).

Pour faire court et en simplifiant à l’extrême, on peut dire que la plupart des gens se tournent vers la religion pour y trouver un réconfort, des réponses qu’ils ne trouvent pas ailleurs. La plupart de ces questions concernent le sens de la vie. D’où venons nous ? Où allons-nous ? Quel sens a notre existence ?

La science peut répondre à la question de notre origine et de notre destinée physique. Elle n’a par contre pas pour but de répondre à la question du sens de la vie. Ce qu’elle nous apprend, toutefois, est que le cerveau est un organe spécialisé dans le traitement de l’information : il interprète en permanence une multitude d’influx nerveux en provenance de nos sens (yeux, oreilles, etc.). Associer des noms à des visages, des notes de musique à des sons, des souvenirs à des odeurs, etc. Les exemples sont innombrables.

Consciemment ou, la plupart du temps, inconsciemment, notre cerveau extrait des idées, des concepts, du monde qui nous entoure et de nos souvenirs. On pourrait presque dire qu’il ne peut pas s’en empêcher. C’est un réflexe, qui, parfois, nous joue des tours : en regardant les nuages, on peut aisément y percevoir des objets, souvent incongrus. Autrement dit, notre cerveau voit également des choses qui n’existent pas (voir à ce sujet le concept de paréidolie). Parce qu’il est fait pour cela : donner du sens, que ce sens corresponde à la réalité ou non.

Ce mécanisme explique toute une série de phénomènes. Par exemple, pourquoi certaines personnes sont incapables d’accepter les coïncidences et y voient toujours un lien de cause à effet. Ou pourquoi certaines personnes voient des conspirations là où il n’y en a pas (participation du gouvernement américain dans les attentats du 11 septembre 2001 ou dans la dissimulation d’extra-terrestres, pour n’en citer que quelques-unes). De mon point de vue d’athée, ce même mécanisme explique également bien des pratiques et croyances religieuses (existence d’un ou plusieurs dieux, de l’âme, de la vie après la mort, etc.).

La question du sens de la vie semble donc devoir avoir une réponse, parce que nous avons l’habitude de donner un sens à tout ce que nous percevons, à tout ce que nous vivons, mais, en réalité, il se peut très bien qu’il s’agisse d’une question sans réponse. La vie peut très bien ne pas avoir de sens intrinsèque. On peut toutefois lui donner le sens que l’on souhaite. Cette position intellectuelle (qui est celle des existentialistes, entre autres) est inconfortable, voire déprimante, en tout cas à première vue, mais logiquement tout à fait acceptable.

Ainsi, certaines personnes “tournent le dos”, pour ainsi dire, à la science et à la philosophie, se tournent vers la religion, en quête de réponses, qui doivent exister, pensent-elles. On peut constater un comportement similaire chez les gens qui, déçus par la médecine conventionnelle, se tournent vers la médecine alternative, en quête de traitements pour leurs problèmes de santé. Un traitement efficace doit exister, après tout.

Loin de moi l’idée de vouloir prétendre que la médecine conventionnelle est parfaite. Elle ne l’est pas. Souvent, elle se concentre trop sur les symptômes et pas assez sur la véritable source de nos maladies. La chirurgie est encore, à bien des égards, de la boucherie. L’industrie pharmaceutique devrait probablement être mieux régulée. Les médecins n’ont pas assez de temps à consacrer à leur patient. J’irai même jusqu’à dire que la médecine conventionnelle a à apprendre de la médecine alternative. Cependant, je reste convaincu que c’est en se servant de la raison et en essayant de comprendre le corps humain que la médecine vaincra les maladies, pas en se soumettant à la superstition.

Si la médecine conventionnelle ne peut aider quelqu’un, ne peut lui proposer un traitement, cela ne signifie pas forcément que la médecine alternative le pourra. Il y a dans l’homéopathie, l’acupuncture et bien d’autres de ces pratiques douteuses une facilité que l’on retrouve également dans les réponses toutes faites de la religion : “Vous voulez un traitement ? En voici un !” Peu importe qu’il s’agisse de gouttes d’eau ou de pilules sucrées. Il y a une demande, donc il y a une offre. L’industrie des “médicaments” homéopathiques et autres traitements phytothérapiques n’a rien à envier à l’industrie pharmaceutique : elle amasse également des milliards.

Comme je l’ai déjà dit, je ne compte pas expliquer ici comment entrent en jeux l’effet placebo ou les mécanismes d’auto-guérison du corps humain, souvent sous-estimés, comment ils donnent l’impression, tout à fait illusoire, dans la plupart des cas, que la médecine alternative pourrait être efficace. J’aimerais juste insister sur le fait qu’il y a des alternatives - certes, plus difficiles à mettre en oeuvre - à la “médecine superstition”.

Pour ne citer que quelques pistes, combien de gens font réellement des efforts pour manger mieux, faire plus de sport, réduire leur stress, dormir plus ou arrêter de fumer ? Autrement dit, prendre leur santé au sérieux, de manière responsable ? Certainement pas assez. Cela paraît évident, mais, avant de guérir, il faudrait d’abord penser à prévenir, lorsqu’on sait comment le faire. Toutes ces approches n’ont pourtant rien à voir avec la médecine alternative. Elles ont, au contraire, été validées par des études scientifiques. On peut mettre en évidence les effets positifs de la méditation, par exemple, et les effets néfastes de la fumée sont connus depuis longtemps.

En guise de conclusion, je dirais que ce retour aux “sources”, cet attrait renouvelé pour la médecine alternative, a quelque chose de profondément malsain. Bien entendu, il ne faut pas “jeter le bébé avec l’eau du bain”, comme diraient les anglophones. La médecine conventionnelle a encore beaucoup de choses à apprendre, y compris des médecines alternatives (l’écoute du patient, le conseil, etc.), mais il faut savoir reconnaître ses côtés positifs et, surtout, prendre ses responsabilités, accepter que notre santé de dépend pas uniquement de la médecine, mais aussi des choix de vie que nous faisons.

Monday, January 17, 2011

fring : encore un moyen de donner moins d'argent à Swisscom

J'ai récemment réalisé que fring facturait la minute de communication vers le réseau mobile suisse 6.9 centimes (0.069 francs suisses, donc, ou 5.3 centimes d'euro) par minute. C'est bien moins que les 54.7 centimes par minute de Skype. J'ai contacté le service clientèle de fring, qui a confirmé ce tarif d'autant plus étonnant que la minute de communication vers le réseau fixe est facturée 15.36 centimes !

Il est intéressant de savoir que fring, contrairement à Skype, ne facture pas de frais de connexion. Chez Skype, ces frais s'élèvent à 6.8 centimes.

Par conséquent, fring devient dans certains cas une alternative avantageuse à Swisscom si vous disposez d'un smartphone. Voici un tableau donnant la meilleure option dans les cas les plus courants (hors appels internationaux), pour un abonnement NATEL liberty de Swisscom :

(18 mai 2017 : tableau supprimé - les données n'ont plus d'intérêt.)

Notes :

Thursday, December 2, 2010

Téléphonie mobile : comment donner moins d'argent à Swisscom & Co.

La situation de la téléphonie mobile en Suisse n'est pas avantageuse pour le consommateur. Pour simplifier, on pourrait dire qu'on a le choix entre, d'un côté, une bonne couverture réseau et des prix élevés (Swisscom) et, de l'autre, une mauvaise couverture réseau et des prix à peine plus avantageux (Orange et Sunrise). Difficile de comparer directement les différentes offres des opérateurs, de toute manière.

Dans tous les cas, si vous accédez à Internet via votre téléphone mobile, il y a moyen d'économiser de l'argent, dans plusieurs cas.

Prenons les SMS chez Swisscom, par exemple. Si vous disposez d'un abonnement NATEL liberty, chaque SMS vous coûtera 20 centimes. Une fortune, autrement dit. Sur Android, BlackBerry, iPhone et Nokia, une application appelée WhatsApp vous permet d'envoyer facilement des messages à vos contacts (qui devront au préalable avoir installé la même application). Sur iPhone, cette application coûte 1.10 frs. Moins de six SMS chez Swisscom ! D'autres solutions existent, comme Boxcar (interfaçage possible avec Twitter, Facebook, etc. et leur système de messages directs). Dans le cas où un message n'aura pas besoin d'être lu tout de suite, un email fera tout aussi bien l'affaire, bien entendu.

Pour les MMS, les tarifs de Swisscom sont tout aussi ridicules : 50 centimes pour un MMS jusqu'à 30 Ko et 90 centimes pour un MMS jusqu'à 300 Ko. Dans le pire des cas, avec un abonnement NATEL liberty, si vous avez épuisé votre quota de données mensuel (100 Mo, 250 Mo ou 1 Go), chaque tranche de 100 Ko supplémentaire vous coûtera 1 centime. Pour envoyer une image jusqu'à 30 Ko (via WhatsApp, email ou autre), il vous en coûtera donc 1 centime (et non 50 centimes). Pour une image jusqu'à 300 Ko, il faudra compter 3 centimes (et non 90 centimes). Faites le calcul : Swisscom vend ses MMS en tout cas plusieurs dizaines ou centaines de fois plus chers que les données Internet. Cherchez l'erreur...

Pour les appels téléphoniques, la situation est un peu plus compliquée. Si vous êtes connectés à un réseau Wi-Fi (chez vous, par exemple) et que votre interlocuteur dispose de Skype ou d'une application VoIP similaire (fring, iCall, etc.), la question ne se pose presque pas : il faut utiliser l'application VoIP (communication gratuite) au lieu de passer par Swisscom & Co.

Si votre interlocuteur dispose d'un téléphone fixe, alors le coût de la communication avec un abonnement NATEL liberty grande ou mezzo est de 50 centimes par tranche de 60 minutes entamée. Un prix presque aussi ridicule que celui des SMS et des MMS, à moins que vous ayez l'habitude de faire de longs appels. Via Skype, le prix actuel est de 6.8 centimes (frais de connexion), puis 3.3 centimes par minute entamée. Par conséquent, jusqu'à 13 minutes, un appel via Skype sera plus avantageux.

Si votre interlocuteur dispose d'un téléphone mobile sur le réseau Swisscom, dans ce cas, Skype devient moins avantageux (6.8 centimes, puis 54.7 centimes par minute, contre 50 centimes par heure via Swisscom). Dans le dernier cas (interlocuteur sur le réseau mobile Orange ou Sunrise), Swisscom est également plus avantageux (10 centimes par tranche de 12 secondes).

Imaginons maintenant que vous n'ayez pas accès à un réseau Wi-Fi, mais que vous ayez un bon accès au réseau 3G (pas évident !) et que vous désiriez appeler un téléphone fixe. Selon les informations que j'ai pu trouver, un appel Skype a besoin, dans le pire des cas, de 70 kbps de bande passante, donc 8750 octets par seconde. Une tranche de 100 Ko (1 centime maximum) sera donc "consommée" en un peu plus de 11 secondes. Via Skype, 4 minutes de conversation vous coûteront donc 6.8 centimes de frais de connexion, plus 3.3 centimes par minute x 4 minutes, plus 21 centimes de données (à 1 centime la tranche de 100 Ko), soit 41 centimes. Au-delà de 4 minutes, Swisscom redevient plus avantageux.

(J'ai pris ici les forfaits Swisscom comme base, mais j'imagine que des calculs similaires peuvent être faits pour Orange et Sunrise.)

Il est donc plus facile d'économiser sur les SMS/MMS (hyper-surtaxés !) que sur les appels téléphoniques, mais c'est déjà un début. Si les centaines de milliers (millions ?) d'utilisateurs suisses de smartphones profitaient des alternatives à leur disposition (applications, etc.), il est probable qu'ils pourraient globalement économiser des millions de francs par an.

Mise à jour (3 décembre 2010). Kik Messenger est une autre application de messagerie instantanée (destinée à remplacer les SMS), gratuite, celle-ci, similaire à WhatsApp et disponible pour Android, BlackBerry et iPhone. Merci à Miguel pour l'information !

Mise à jour (18 janvier 2011). J'ai corrigé l'article en prenant en compte que les frais de connexion facturés par Skype sont de 6.8 centimes (avec TVA) et non 5.9 centimes (sans TVA).