Tuesday, December 20, 2016

Troublant Bernard Stiegler...

En novembre, j'ai lu un court livre de Bernard Stiegler, L'emploi est mort, vive le travail !. On m'avait recommandé de m'intéresser à ce penseur, vu mon intérêt presque obsessionnel pour l'intelligence artificielle, l'automatisation du travail, la singularité technologique, les voitures sans conducteur, etc. Je ne connaissais rien de lui. J'ai choisi ce livre uniquement à cause de sa brièveté (120 pages).

Je me retrouve un peu "frustré" au terme de cette lecture. Stiegler a un language qui correspond peu à ma sensibilité. J'aime les philosophes qui utilisent des mots simples et font des efforts pour rendre leurs idées le plus compréhensibles possible. Mais, ça, c'est mon problème. Ça ne concerne pas le fond de son discours.  

Sur le fond, donc, son discours rejoint a priori le mien.

Je cite : "L’emploi a donc progressivement fait disparaître le travail, depuis un siècle et demi, avec les différentes étapes de la prolétarisation des travailleurs, puis des consommateurs, et maintenant, cet emploi est lui-même en train de disparaître, suite à la généralisation de l’automatisation dans tous les secteurs de l’économie…"

Plus loin : "La robotisation ne peut que nuire à l’emploi, et il n’est pas vrai que les emplois créés par la production des robots compenseront ceux détruits par ces mêmes robots."

A priori toujours, j'adhère donc à son discours, qui, on pourrait le penser naïvement, rejoint celui de Ray Kurzweil, par exemple.

Mais Stiegler semble rejeter les conclusions ultimes de Kurzweil, qui évoquent des scénarios de science-fiction : "[...] je crois qu’à l’époque des études digitales, des spéculations « post-humanistes » et du storytelling transhumaniste (libertarien de droite et extrêmement dangereux), il faut en repenser de part en part les conditions de possibilité [...]".

Au-delà de la forme, le discours de Stiegler est aussi affaibli par le fait que, lorsque Kurzweil passe des centaines de pages à justifier le fait que les machines vont nous remplacer, Stiegler n'explique à nulle part dans son livre comment il arrive à la conclusion que nous allons devoir faire face à une "automatisation dans tous les secteurs de l’économie". Il ne parle à aucun moment de l'histoire de l'informatique, de l'intelligence artificielle, du deep learning, des succès récents dans ce domaine, etc.

On dirait que sa conclusion est plus le résultat d'une observation de la société, une sorte d'extrapolation "évidente", implicite, alors que celle de Kurzweil est issue d'une analyse plus rigoureuse, celle d'un ingénieur, qui ne peut s'empêcher d'enchaîner les graphes.

Ou alors aurait-il fallu que je lise au préalable d'autres livres de Stiegler ? Si oui, lesquels ? Pour moi, un livre doit se suffire à lui-même. A nouveau, j'aime les penseurs qui font des efforts pour se rendre accessibles.

Autre point troublant : même après avoir lu les 120 pages de "L'emploi est mort, vive le travail !", je n'arrive toujours pas à dire clairement si Stiegler pense que l'intelligence artificielle va être capable de faire mieux que l'être humain dans tous les domaines (y compris artistiques, par exemple) ou si, pour lui, seul ce que nous considérons aujourd'hui comme "emploi" est en danger. Ce qui serait une erreur.

Bref, j'ai donné une chance à Bernard Stiegler, qui semble être quelqu'un de très intelligent, mais sa sensibilité, ce qu'il a à dire sur des sujets qui me passionnent, ne me parlent pas. J'aurai au moins essayé...

Tuesday, November 29, 2016

Végétarisme/véganisme : vers une démarche efficace

Je suis récemment tombé sur un article intitulé "Do-Gooder Derogation: Disparaging Morally Motivated Minorities to Defuse Anticipated Reproach", datant de 2011. Je ne sais pas s'il s'agit d'un article de qualité. Je n'ai pas l'habitude de lire ce genre de publications, en particulier dans le domaine de la psychologie.

En voici néanmoins quelques extraits :
  • "While societies may differ on what it means to be moral, they agree that it is good to be so."
  • "Consider vegetarians. Examples of the resentment toward this relatively harmless group abound in Western culture."
  • "Vegetarians report being frequently pestered about their choice."
  • "Moral reproach, even implicit, stings because people are particularly sensitive to criticism about their moral standing."
  • "Because of this concern with retaining a moral identity, morally motivated minorities may be particularly troubling to the mainstream and trigger resentment."
  • "The hypothesis presented above is consistent with a long research tradition showing that individuals will respond to self-threat by putting down the source of the threat."
  • "If meat eaters derogate vegetarians, then they are more likely to be doing so because of the resentment triggered by anticipated moral reproach than because of any discomfort regarding eating meat."
  • "Furthermore, the more participants expected vegetarians to exhibit such moral superiority, the more negative were the associations they generated."
  • "The fact that we observed a significant shift in ratings of vegetarians as a result of such a subtle manipulation demonstrates just how sensitive individuals are to moral threat."
  • "Though speculative at this point, this interpretation raises the intriguing possibility that under conditions of threat, do-gooder derogation has the ironic effect of making the message of do-gooders more palatable. Having shot the messenger, participants may have felt less urge to also burn the message."
  • "Anticipated moral reproach is aversive and participants reacted to it by putting down the presumed source."
  • "To be sure, do-gooder derogation is better described as a puzzling ambivalence toward principled others than as outright negativity."
  • "[A]lthough vegetarians do look down on meat eaters’ morality somewhat, they are less selfrighteous than they are perceived to be."
  • "The opportunity to derogate do-gooders may have the ironic aftereffect of making majority members less resistant to minority values in the face of threat. This finding brings to mind Moscovici’s analysis of minority influence (1985) as sometimes leading to private conversion, even in the face of public rejection."
En résumé et si je simplifie à l'extrême, les végétariens sont mal perçus par les non-végétariens, car ils sont considérés comme moralisateurs (dans le sens péjoratif du terme), même s'ils ne le sont pas vraiment. Il suffit pour un non-végétarien de penser au "jugement potentiel" qu'un végétarien pourrait porter sur lui pour que le non-végétarien développe automatiquement un préjugé négatif par rapport au végétarien. Si je résume encore plus : on n'aime pas être critiqué et encore moins lorsqu'il s'agit, explicitement ou non, de ses valeurs morales.

Ces derniers mois, j'ai vécu quelques évènements qui m'ont personnellement rappelé qu'effectivement, il n'est pas tous les jours facile d'être végétarien. Il y a eu une "attaque" désagréable à mon encontre sur Facebook, après deux ans d'absence sur ce réseau social. Un ancien collègue vegan m'a à cette occasion avoué avoir voulu quitter Facebook à cause de réactions similaires. Il y a aussi eu la déception causée par un discours - que je qualifierais de facile, voire intellectuellement paresseux - de la part de Sam Harris, que je tends pourtant à admirer, en temps normal.

Cet article me rassure donc un tout petit peu : non, il ne s'agit pas de paranoïa ; il y a réellement, globalement, un sentiment négatif à l'égard des végétariens. Ce sentiment est parfois "mérité", si tant est qu'il puisse vraiment l'être, mais il est souvent lié à un préjugé, au sens premier du terme.

Je ne veux pas tomber dans le piège de la victimisation. Question discrimination, il y a bien plus à plaindre que les végétariens, les végétaliens ou les végans. Il y a toutefois une remise en question, peut-être, à entamer.

Au risque de rendre cet article plus confus qu'il aurait besoin de l'être, je ne peux m'empêcher de faire un parallèle avec une lecture récente : Everybody Is Wrong About God, de James A. Lindsay. Dans ce livre, Lindsay défend la position que les non-croyants ne devraient désormais plus se positionner, s'organiser ou se définir en tant qu'athées, mais raisonner comme si nous vivions déjà dans une société post-théistique, car le débat philosophique concernant l'existence ou non de Dieu est réglé depuis longtemps. La question, désormais, est de savoir comment dialoguer avec les croyants de la manière la plus productive possible (par exemple avec des approches telles que la Street Epistemology de Peter Boghossian ou le Outsider Test for Faith de John W. Loftus), comment développer la laïcité, la science, etc. Bref, comment aborder la problématique d'une manière plus constructive, moins dans l'opposition.

Si j'essaie de faire un parallèle avec le végétarisme/véganisme, il s'agit alors de reconnaître que le débat moral est clos : je ne connais personne capable de défendre sérieusement la position qu'il est moral de faire souffrir inutilement des animaux. Aussi, et cela me coûte de l'admettre, mais il est peut-être déjà temps de laisser tomber des termes tels que "végétarien" ou "végan", parce qu'ils sont connotés, il est vrai, mais aussi parce qu'il faut aussi systématiquement les expliquer, les préciser. "Je ne mange ni viande ni poisson" ou "je ne consomme pas de produits animaux", c'est finalement plus clair et cela nous rappelle que ça n'est pas l'identité de végétarien/végan qui est importante, mais la démarche éthique.

Une présentation que j'ai découverte très récemment, destinée aux végans, très bien argumentée, va d'ailleurs en partie dans le sens de ce que je viens d'évoquer.

J'ajouterai encore que j'ai également eu des réactions négatives, ces derniers temps, en parlant de manière (peut-être naïvement) enthousiaste à propos du travail de Will MacAskill, de l'altruisme efficace, de GiveWell, etc. Il semblerait que, dès que l'on parle de sujets éthiques, les gens deviennent particulièrement défensifs, même s'il est question de démarches positives.

Que faire, donc ?

Une note positive, tout de même, dans l'article que j'ai cité au début, est que les végétariens ont beau être mal perçus, leur message est susceptible de passer malgré tout (l'article mentionne le concept de conversion privée).

Je ne pense pas qu'il soit souhaitable de laisser tomber la discussion. J'ai toujours l'intention de parler de ma démarche, mais je vais essayer de le faire le plus diplomatiquement possible, en gardant à l'esprit que les gens en face de moi se sentent forcément jugés, indirectement, et aussi qu'au bout du compte, je passerai toujours pour quelqu'un de plus ou moins moralisateur. Ça fait partie de la dynamique de ce genre de discussions. Il faut l'accepter et aller de l'avant.

C'est quelque chose que j'ai aussi appris en écoutant Will MacAskill : il est possible de changer les choses simplement en donnant son argent, par exemple via des campagnes de financement participatif (crowdfunding). Je l'ai fait encore récemment pour Memphis Meats, une société dont le but est de commercialiser de la viande artificielle, produite à partir de cellules animales.

En attendant, je ne peux que me réjouir du fait que le nombre de végétariens, végétaliens et végans augmente sans cesse et que l'offre destinée à ce segment de la population, même dans les supermarchés, devient de plus en plus variée. Contrairement à ce que certains prétendent, on n'a pas affaire à un phénomène de mode, mais à une véritable tendance, probablement définitive. Une fois la masse critique atteinte, la situation devrait alors devenir moins conflictuelle.

Tuesday, October 25, 2016

L'écriture spontanée : une alternative à la méditation ?

J'aime bien me laisser inspirer par Buster Benson. Ma vision du monde dérive partiellement de son codex. Comme lui, j'aime bien faire des revues annuelles. Il a un côté geek assumé qui me plaît beaucoup. C'est donc avec un intérêt marqué que j'ai lu au début de cette année son article "Better than meditation", dans lequel il décrit les difficultés qu'il a rencontrées en tentant de faire de la méditation une pratique régulière. Il y explique aussi qu'il a finalement trouvé dans l'écriture spontanée une alternative sérieuse à la méditation, qui marche bien mieux pour lui.

Je me suis donc inscrit sur un site que Buster a lancé, 750 Words, et ai joué le jeu durant toute la période d'essai. Durant un mois, en avril 2016, j'ai écrit 750 mots par jour, tous les jours ou presque (29 jours sur 31, pour être exact). L'idée de l'écriture spontanée est de se forcer à écrire, sans arrêt, durant une durée ou un nombre de mots donnés. En l'occurrence, il s'agit d'atteindre 750 mots à chaque session d'écriture. On peut écrire sur tout ce qui nous passe par la tête. En cas de panne, il est possible d'écrire n'importe quoi, sans forcément respecter les règles grammaticales. Le but est de continuer à écrire, coûte que coûte. En réfléchissant le moins possible. Pas de plan. Pas de correction. Le texte doit être écrit du début à la fin, sans retour en arrière. 750 mots correspondent environ à trois pages. Pour ma part, je parviens à écrire cette quantité de mots en un peu plus d'un quart d'heure.

Le site 750 Words est bien réalisé. L'interface est épurée. L'éditeur de texte, la fonctionnalité principale du site, est simple. Un compteur affiche en permanence le nombre de mots écrits. Le texte est sauvegardé automatiquement, à intervalles réguliers. Aucun bug ne vient interrompre le processus d'écriture, sur lequel on peut se concentrer complètement. A la fin de chaque session, il est possible de visualiser des statistiques, sur la dernière session, mais également sur l'ensemble des sessions d'écriture. Les textes écrits restent privés, bien entendu. Il est possible de les exporter facilement.

C'est d'ailleurs ce que j'ai fait dès mai 2016. Passé la fin du mois d'essai sur 750 Words, il aurait fallu que je paie pour continuer à utiliser le site. J'ai trouvé le prix demandé (5 dollars par mois, soit 60 dollars par an) beaucoup trop élevé par rapport aux fonctionnalités proposées. J'aurais été prêt à payer 12 dollars par année, à la rigueur (et encore...). A 60 dollars par an, 750 Words se trouve juste en dessous du prix de Headspace, par exemple, qui propose pourtant beaucoup plus de contenu et de fonctionnalités.

Je me suis donc mis à utiliser le premier éditeur en ligne gratuit proposant un compteur de mots que j'ai trouvé : Dillinger. A la base, il s'agit d'un éditeur Markdown, mais il est possible de l'utiliser comme éditeur de texte pur (i.e. sans mise en page). Pour mesurer le temps, je tape juste "timer" dans Google (mode chronomètre). Enfin, je copie-colle le résultat dans un document Google Docs. C'est à peine plus compliqué que 750 Words. Evidemment, je n'ai pas de statistiques concernant mes sessions d'écriture, mais l'essentiel est là : l'écriture spontanée.

Depuis le mois de mai, j'ai également diminué la fréquence de mes sessions d'écriture, passant à une ou deux sessions par semaine, puis finalement à une session seulement par semaine. Comme je médite déjà chaque jour et que je tiens également à jour un journal personnel, il me paraissait trop contraignant de continuer à maintenir une session d'écriture spontanée par jour. Pour référence, mon journal personnel pour 2015 contient 155'851 mots, ce qui correspond déjà à 427 mots par jours.

Quelles sont mes conclusions concernant l'écriture spontanée ? Tout d'abord, je vois bien le lien avec le méditation. Dans un cas comme dans l'autre, il peut s'agir d'un moyen de "canaliser" nos "voix dans nos têtes". De les observer. De les accepter. Il s'agit aussi d'être le plus possible dans le moment présent. Dans la pratique, il me semble toutefois que l'écriture spontanée s'apparente beaucoup plus à un journal personnel, à un blog, qu'à une tentative de découvrir la véritable nature de notre esprit.

Il me semble que la méditation est également plus exigeante. L'écriture spontanée consiste à maintenir son attention, à être dans le moment présent, en continuant à faire quelque chose d'actif (i.e. écrire). La méditation, elle, consiste également à maintenir son attention, à être dans le moment présent, mais en "ne faisant rien". Ou, tout du moins, en se concentrant sur quelque chose qui est déjà là, comme la respiration.

J'ai toutefois retrouvé un plaisir certain à écrire de manière plus spontanée, comme je le faisais lorsque j'étais adolescent. Mon journal personnel est aujourd'hui devenu quelque chose de plus contraint. Je raconte ma journée, le plus souvent chronologiquement. J'y inclus quelques commentaires, plus libres. Je ne rédige pas de phrases. J'essaie d'être le plus concis possible. Il correspond presque à ce qu'on pourrait appeler en informatique un journal des évènements (event log, en anglais)

Pour moi, ces deux activités (écriture spontanée et méditation) sont donc complémentaires. J'ai retrouvé quelque chose qui m'avait manqué, l'écriture spontanée, qui vient désormais compléter mon journal personnel, plus concis, moins créatif. La méditation, quant à elle, est un exercice moins mécanique, peut-être, plus intellectuel, et qui s'intègre plus à ma vie de tous les jours (exercices réguliers tout au long de la journée).

Wednesday, October 5, 2016

Le purisme végétarien

Comme l'article "Souffrances bovines et esclavagisme", que j'ai écrit il y a à peu près une année, cet article est une réaction à une discussion privée autour du sujet du végétarisme. Cette fois-ci, il était essentiellement question de l'attitude de Sam Harris par rapport au végétarisme, ainsi que du purisme végétarien, c'est-à-dire l'attitude consistant à vouloir être absolument végétarien à 100%.

Voici donc ma réaction à quelques points importants :
  • La position de Sam Harris est étrange, voire incohérente. Globalement, je suis d'accord avec ces commentaires sur Reddit. Sam Harris explique, et je peux le comprendre, qu'il n'a pas envie d'être identifié comme un végétarien, car ce terme a une connotation négative. Selon lui, il y a un aspect religieux au fait de vouloir être absolument végétarien à 100%. Cette manière de penser me fait un peu penser à l'attitude de Neil deGrasse Tyson par rapport au qualificatif "athée". Tyson refuse d'être défini comme un athée, car il pense que ce terme est connoté et il préfère être présenté comme un scientifique, comme une personne qui vulgarise la science. Pourtant, Neil deGrasse Tyson ne croit pas en Dieu. C'est donc un athée, par définition. Il est un peu ironique pour Sam Harris d'avoir peur d'un label, lui qui est un des athées les plus médiatiques. Depuis quand se soucie-t-il de ce qu'on pense de lui ? Être végétarien à une époque où seule une minorité de la population l'est (en dehors de l'Inde, disons) est forcément connoté. Il est difficile de ne pas passer, au moins un tout petit peu, pour un militant. Cela exige un minimum de courage, peut-être, mais je n'en suis même pas forcément sûr. Difficile de penser que Sam Harris ne puisse pas faire cet effort relativement trivial (pour lui).
  • Le fait que Sam Harris se soit remis à manger du poisson, en particulier, est frustrant. Il est possible d'être végétarien et même végan sans le moindre problème de santé, si l'on fait un peu attention à ce que l'on mange. Je n'ai jamais vu qu'il était nécessaire de manger du poisson pour être en pleine forme. Peut-être est-ce le cas. Je ne demande qu'à être contredit sur la question. Peut-être que certaines personnes ont vraiment besoin de manger du poisson pour être en forme, mais, si tel est le cas, il me semble que des études scientifiques devraient pouvoir le mettre en évidence. Sam Harris passe plusieurs minutes à expliquer que les poissons et crustacés ont un système nerveux moins développé que d'autres animaux. Il ne parle pas du tout de ce qui l'a amené à conclure que sa fatigue était causée par un manque de poisson. A-t-il seulement cherché des alternatives (autres sources de protéines, compléments alimentaires, etc. ?).
  • Il est toutefois absurde de viser un végétarisme à 100% juste pour la "beauté du geste". Sur ce point, je suis complètement d'accord. Éthiquement, il vaut mieux être végétarien à 50% qu'à 10%. Il vaut mieux l'être à 95% qu'à 50%. Il est important d'encourager tout effort dans ce sens et je peux comprendre que quelqu'un essayant de devenir végétarien puisse être découragé par le côté religieux, absolu ou moralisateur des "végétariens à 100%". Cette manière de voir les choses peut d'ailleurs s'appliquer à toutes sortes de domaines : sport, méditation, Getting Things Done, recyclage, etc. Bref, toute activité dont on souhaite faire une habitude. En gros, il s'agit juste de ne pas être trop dur avec soi.
  • Il existe d'ailleurs un néologisme pour désigner les gens souhaitant diminuer leur consommation de viande : flexivore. Je l'ai découvert sur le lieu de mon travail la semaine passée. Je ne sais pas si cela clarifiera les choses. Je ne sais pas si cela prendra ou non. Peut-être que ce terme aura plus de succès que le "bright" censé remplacer un "atheist" soi-disant trop connoté. Qui sait ? Plus comique : faut-il appeler les fromages végan (ou faumages) "Gary" ?
  • Le taux de végétarisme n'est pas complètement linéaire. Je m'explique. Être végétarien à 20% n'est pas deux fois plus dur que de l'être à 10%. L'être à 100% n'est pas cinq fois plus difficile que de l'être à 20%. Je note en passant que, même en ne mangeant pas de viande volontairement, il m'est arrivé d'en manger involontairement. Cela m'arrivera probablement encore. Cela ne m'empêche pas de dormir. Donc on ne peut être végétarien à 100% qu'en considérant uniquement la consommation volontaire de chaire animale. Ce détail technique clarifié, il me semble que lorsque l'on se trouve dans une démarche motivée par des considérations éthiques, on tend naturellement vers un végétarisme "pur", sans forcément vouloir l'atteindre explicitement. La barre des 100% n'est pas forcément un but en soi, plus une sorte d'effet secondaire. La difficulté pour passer d'un végétarisme à 80% à un végétarisme à 100% n'est donc pas si grande qu'on pourrait le penser au premier abord.
  • Il ne faut toutefois pas sous-estimer la différence conséquentialiste entre être végétarien à 80-95% et l'être à 100%. Dans le contexte d'une réflexion éthique, cela me semble étrange de vouloir faire des exceptions, qui sembleraient indiquer que la souffrance animale, motivation de la démarche à l'origine, n'est pas si grave que cela. Il me semble qu'à terme, rester végétarien à 95% et ne pas faire le "pas final" donnerait donc un mauvais signal aux gens, en quelque sorte. Mais, à nouveau et j'insiste, le fait de faire des exceptions au début d'une démarche visant à devenir flexivore, végétarien ou végan devrait au contraire être encouragé, si cela facilite les choses.
  • Je me répète par rapport à mon dernier article, mais le végétarisme n'est pas un handicape social si important. Au début, il est possible d'oublier d'avertir quelqu'un chez qui l'on est invité que l'on est végétarien, mais, avec le temps, cela devient un réflexe et il devient vraiment impossible de ne pas y penser. Il est également toujours possible de proposer d'apporter quelque chose pour dépanner. Je me suis personnellement rarement retrouvé dans des situations embarrassantes (ou alors ma mémoire est sélective...). Enfin, oui, les végétariens et végans parlent parfois trop de leur démarche, mais cela ne doit pas empêcher non plus d'avoir un minimum de dialogue sur le sujet, sans trop insister et y passer une soirée entière. On peut rappeler les définitions (ex. différence entre végétarien, végétalien et végan), donner simplement les raisons de la démarche (traitement des animaux, etc.), puis passer à autre chose.
  • L'analyse de la situation imaginaire de la salade avec du bacon est incorrecte, à mon avis.  Une personne végétarienne ou souhaitant l'être commande une salade dans un restaurant. Le serveur arrive avec une salade contenant du bacon. Une analyse conséquentialiste possible est de se dire que, puisque le bacon est là, autant le manger. Exiger une nouvelle salade signifierait de toute façon que le bacon sera jeté. Le cochon est mort. Le bacon est là. Autant en profiter. Il s'agit là pour moi d'une analyse incomplète. Il ne faut pas oublier que le restaurant propose un service. Manger la salade avec le bacon, c'est donner un mauvais signal au restaurant. C'est encourager un mauvais service. C'est ne pas entrer dans une relation de discussion constructive (et polie) avec le serveur ou le cuisinier, qui devraient pouvoir apprendre de leurs erreurs, devenir plus sensibles à la question des végétariens. Ou des végans. Ou des personnes intolérantes au gluten. Ou au lactose. C'est aussi une question de respect, peut-être, celui du client. Enfin, pour quelqu'un qui mange encore occasionnellement de la viande, manger du bacon, c'est une possibilité. Pour quelqu'un qui est végétarien depuis 5, 10 ou 20 ans, c'est tout simplement incongru. L'habitude n'est plus là. Le goût est perdu. Et la souffrance qui se cache derrière le bacon est toujours là. Sans vouloir dramatiser, elle provoque un certain type de dégoût, auquel on ne s'habitue jamais.
  • Une fois encore, je me répète, mais il est évident que le végétarisme et le véganisme ne sont pas suffisants. Ce sont toutefois des solutions relativement faciles à mettre en pratique, tout comme le fait de recycler l'est dans certains pays (la Suisse, par exemple). Il ne faut pas le faire juste pour se donner bonne conscience, mais ce sont des démarches qui doivent s'inscrire dans quelque chose de plus général. Comme je l'expliquais récemment sur Facebook, dans un débat quelque peu mouvementé, je ne serais pas étonné que les végétariens et végans, en moyenne, soient plus sensibles à d'autres problématiques similaires (conditions de travail dans certains pays, écologie, etc.). Il s'agit en quelque sorte d'une porte d'entrée dans une réflexion éthique plus globale, certainement pas d'une fin en soi.

Tuesday, September 20, 2016

10 ans

Cela fait dix ans exactement que j'ai publié mon premier article sur ce blog. J'y ai depuis publié 90 articles, dont 60 rien que ces cinq dernières années. A l'époque, Blogger me semblait être un choix raisonnable pour m'exprimer publiquement sur internet. Il y a fort à parier que j'opterais aujourd'hui pour une alternative (Medium, self-hosting, etc.).

Ça n'est qu'en juin 2007, respectivement en février 2008, que j'ai ouvert un compte sur Facebook, respectivement sur Twitter. A l'exception d'une "pause Facebook" de plus de deux ans entre 2014 et 2016, je me suis également beaucoup servi de ces deux réseaux sociaux pour m'exprimer et débattre.

A l'heure actuelle, mon blog est complètement public, indexé par les moteurs de recherche, mais, paradoxalement, c'est l'espace où je me sens le plus libre pour m'exprimer. Noyé dans la masse, dénué de toute dimension de réseau social, il est automatiquement moins visible, moins scruté. Au contraire, sur Facebook, je sais que chacun de mes statuts sera vu en tout cas par quelques dizaines de personnes que je connais. Je me sens donc obligé de peser mes mots, en quelque sorte. Si je ne le fais pas, je sais que je risque de m'exposer à des réactions parfois négatives. Rien d'insurmontable, mais il est parfois usant de débattre, surtout lorsqu'on ne pensait pas provoquer de polémique...

Il y a dix ans, donc, je publiais sur ce blog un résumé d'un livre qui m'avait beaucoup marqué : The Singularity is Near, de Ray Kurzweil. C'est un sujet qui m'intéresse toujours au plus haut point, mais, en dix ans, les choses ont quelque peu changé.

Ray Kurzweil est devenu depuis un peu moins actif, du moins publiquement. A ma connaissance, il n'a publié que deux livres depuis 2006 : Transcend en 2009, ainsi que How to Create a Mind en 2012. Après ce dernier livre, il a été engagé chez Google, en décembre 2012. Quelques articles sortent régulièrement sur son travail dans cette entreprise, mais il est difficile de se faire une idée de la réalité de son travail au quotidien. Ce qui est certain, c'est qu'il semble toujours aussi peu convaincu par l'argument de la chambre chinoise de John Searle...

Parallèlement, le concept de singularité technologique, que Kurzweil a participé à vulgariser, semble véritablement se démocratiser. Il y a quelques semaines, dans un restaurant de campagne, j'entendais deux personnes à une table proche de la nôtre discuter de la singularité, entre deux discussions concernant l'actualité. Il y a dix ans, cela m'aurait beaucoup surpris. De nos jours, cela est devenu parfaitement banal (ou presque).

Il faut dire que l'intelligence artificielle, le machine learning et le deep learning sont en plein essor. Si la recherche dans le domaine de l'intelligence artificielle a régulièrement vécu ce que les chercheurs ont appelé des "hivers de l'intelligence artificielle" (AI winter, en anglais), on a plutôt l'impression en ce moment de vivre des moments de frénésie. Il y a eu les succès médiatiques, comme Watson en 2011 et AlphaGo en 2016, mais aussi des succès grand public, comme les algorithmes de reconnaissance vocale utilisés par Siri, Cortana, Google Now, Amazon Echo et autres. Les algorithmes de reconnaissance faciale, reconnaissance de caractères, tagging automatique de photos, etc. sont également devenus monnaie courante. Et, si j'avais parié à l'époque sur des voitures sans conducteur "qui marchent" en 2024, je ne serais désormais plus étonné de les voir apparaître bien plus tôt.

L'optimisme presque sans limite de Ray Kurzweil a aussi laissé place à une certaine inquiétude : si l'intelligence artificielle peut améliorer notre quotidien, on peut aussi facilement imaginer qu'elle serve à rendre réels les pires scénarios de films de science-fiction. Tant que les robots et les armes autonomes restent sous le contrôle des êtres humains, nous n'avons pas trop de souci à nous faire, mais, en tant qu'ingénieur logiciel, je sais que les bugs et les comportements imprévus sont très difficiles, voire impossibles, à éviter. D'où les avertissements réguliers de personnalités telles que Stephen Hawking, Elon Musk ou Bill Gates : nous devons dès à présent réfléchir à des moyens de nous assurer que l'intelligence artificielle ne se retournera jamais contre nous.

Après l'optimisme et l'excitation, la prudence et la maturité, donc. Je ne sais pas ce que les dix prochaines années nous réservent, mais je suis prêt à parier que le temps finira par donner raison à Kurzweil, qui a pourtant longtemps été considéré comme un utopiste.

Tuesday, August 30, 2016

Le paysan qui tue ses bœufs les yeux dans les yeux

Je réitère mon expérience d'il y a deux mois, à savoir publier sur mon blog un email que j'ai écrit récemment. Il s'agit cette fois-ci d'une réaction à l'article "Le paysan qui tue ses bœufs les yeux dans les yeux" (Le Temps, 8 août 2016) :

"Je ne sais pas si ce cas est très éclairant. Il me semble au contraire plutôt anecdotique. Au pire, il laisse même planer l'idée qu'il serait possible de continuer à produire de la viande tel qu'on le fait actuellement de manière humaine. Ce qui me semble impossible. En l'absence de viande artificielle, seule une diminution de la production permettrait un traitement "humain" des animaux.

On ne peut en tout cas pas reprocher à ce M. Müller d'être hypocrite. Il est conscient de la face obscure de l'industrie de la viande. Et il est clair d'un point de vue éthique qu'il vaut mieux un animal abattu comme il le fait que dans les abattoirs traditionnels.

Je trouve dommage qu'il semble victime de confusion quant à ce qu'est vraiment l'antispécisme : il ne s'agit pas de prétendre que les êtres humains et les autres animaux sont égaux, mais de reconnaître plus de droits et, en particulier, le droit à la vie, aux animaux. De même, lorsque l'on parle de donner plus de droits aux femmes, aux homosexuels ou à toute autre minorité, cela ne revient pas à nier les différences entre les individus, qu'elles soient biologiques ou autres.

Il semble être aussi confus quant à ce qu'un monde sans production de viande signifierait du point de vue de l'écologie. Le fait de dire sans autres précisions que la production des légumes/céréales a aussi un impact écologique est une analyse parfaitement incomplète des choses. Une grande partie de la production des légumes/céréales sert déjà à alimenter les animaux...

Bref, d'un point de vue rationnel, son point de vue est simpliste et incomplet.

Et, au final, j'ai de la peine à me débarrasser de l'idée que quelqu'un qui est capable de tuer un être conscient "les yeux dans les yeux" a une dimension fondamentalement psychopathique."

Monday, July 4, 2016

Daniel Dennett, les philosophes et les scientifiques

Je m'intéresse à la problématique du libre arbitre depuis bientôt vingt ans maintenant. Je ne sais plus exactement ce qui a déclenché mon intérêt pour cette question. Peut-être les cours de philosophie que j'ai eu l'occasion de suivre lorsque j'avais 17-18 ans. Quoi qu'il en soit, cet intérêt m'a depuis régulièrement valu des débats très animés.

J'ai tenté plusieurs fois d'écrire des articles sur le libre arbitre, sans succès. J'ai encore deux brouillons qui sommeillent dans Google Drive et Blogger. Et qui ne verront vraisemblablement jamais le jour. Mon erreur est sans doute d'essayer d'expliquer mon cheminement intellectuel depuis le début, dans sa globalité, mais c'est un projet trop ambitieux. Je vais donc essayer de faire (plus) court, cette fois-ci.

Quand on parle du libre arbitre, il est possible de se situer dans quatre catégories très générales :

Il s'agit probablement d'une sursimplification des positions qu'il est possible d'avoir par rapport au libre arbitre, mais c'est une bonne première approche.

Quant à moi, je ne développerai pas ici ma position, que j'explique de manière très résumée dans ma "Vision du monde". En gros et a priori, je me suis toujours considéré comme un déterministe dur. Souvent, le débat oppose les déterministes durs aux compatibilistes. L'indéterminisme dur est une position largement minoritaire et le libertarianisme correspond souvent à une position dualiste / religieuse.

Récemment, j'ai fait des efforts pour mieux comprendre la position compatibiliste. J'ai donc écouté plusieurs épisodes de Very Bad Wizards sur la question, ainsi qu'une conférence de Daniel Dennett :
Cet article est en fait surtout une réaction à la vidéo de Daniel Dennett. Il s'agit d'une conférence qu'il a donnée fin 2013. J'imagine donc qu'elle résume assez fidèlement les idées récentes de Daniel Dennett sur la question.

Ma première réaction à tout ce que j'ai pu entendre de la part de Daniel Dennett, Tamler Sommers, Eddy Nahmias, etc. est la suivante : je suis d'accord avec une grande majorité de ce qu'ils disent. Et cela me rappelle furieusement l'épisode de Very Bad Wizards concernant l'opposition entre déontologisme et conséquentialisme. Sam Harris se considère comme un conséquentialiste, à l'inverse de Sommers. Pourtant, en les écoutant, on a l'impression qu'ils se rejoignent plus qu'on ne pourrait le croire au départ. Le résumé de l'épisode met bien en évidence cette confusion : "Is Tamler a closet consequentialist? Is Sam a closet pluralist?" Le débat entre déterministes durs et compatibilistes serait-il donc largement sémantique ? Y a-t-il confusion de part et d'autre ?

Je note en passant que je ne suis souvent pas d'accord avec la manière qu'ont les compatibilistes (et Eddy Nahmias en particulier) d'interpréter ce que les "profanes" (lay people, en anglais) pensent du libre arbitre, mais c'est le sujet d'un autre article...

Si je me demande si le débat concernant le  libre arbitre est largement sémantique, c'est parce que ce sont bien ces mots ("libre arbitre" - "free will", en anglais) qui me dérangent. Libre ? Libre de quoi ? Parle-t-on de déterminisme ? De contrainte physique ? De manipulation psychologique ? Du rôle de l'inconscient ? De la faculté qu'ont les gens d'apprendre de leurs erreurs ou non ? Quoi qu'en dise Eddy Nahmias, je reste persuadé que le débat est largement pollué par l'existence du libre arbitre libertarien, teinté de dualisme, de religiosité. Dans un brouillon d'article non publié, je parlais de concept corrompu. N'est-il pas temps d'utiliser d'autres termes, moins connotés ? Moins inutiles ?

D'ailleurs, Daniel Dennett semble petit à petit comprendre que ce point n'est pas si anecdotique et paraît presque prêt à ne plus utiliser le terme "free will" (voir la vidéo mentionnée ci-dessus, à partir de 21:53). Presque, mais pas encore : après avoir averti son public qu'il ne voulait plus utiliser ces mots, il les utilise quand même encore de nombreuses fois durant sa présentation. A un moment, il utilise même la formule "practical free will" (comme Daniel Miessler). A nouveau, c'est un pas dans la bonne direction.

A un moment dans la vidéo (32:18), Daniel Dennett semble reprocher aux scientifiques de proclamer que le libre arbitre n'existe pas. Certaines études montrent en effet que la "perte de libre arbitre" augmente le comportement immoral des gens (ils trichent plus à un examen, par exemple). Je ne suis pas certain de bien comprendre la position de Dennett sur le sujet, mais même Sommers et Pizarro de Very Bad Wizards trouvent ces études très légères, simplistes. Elles montrent un effet à très court terme uniquement et les phénomènes observés (probabilité de tricherie plus élevée, etc.) pourraient avoir lieu dans tout contexte où une croyance chère vient d'être contredite ou suite à une mauvaise nouvelle (décès, etc.). Ces études semblent surtout montrer que dans des situations de désespoir, la réaction naturelle des gens semblent être de se dire : "A quoi bon ?" Ca n'est pas quelque chose d'exclusif au sentiment de "perte de libre arbitre". Finalement, si une étude prouvait qu'il était négatif de dire aux gens que Dieu n'existe pas, faudrait-il s'abstenir de le leur dire ?

Un autre point important, somme toute assez étrange : je me me retrouve pas dans la manière dont Dennett décrit les positions de Sam Harris et Jerry Coyne. Pourtant, je partage largement leur point de vue ! Ce sont des déterministes durs, après tout. Je m'avancerai même en disant que Harris et Coyne reprocheraient à Dennett de déformer leurs propos. Dennett s'en prendrait-il donc à un homme de paille ? Exemple, tiré de la vidéo de Dennett : "They want us to completely abandon punishment". Je n'ai jamais vu ou entendu Harris ou Coyne prôner cette idée. Au contraire : "I agree that punishment might be practically necessary in certain cases (as it might be the only way to get people to behave)" (Sam Harris).

En 2014, Dennett a publié une critique du livre Free Will de Harris. Harris lui a répondu. Puis Dennett ne lui a jamais répondu. Ce qui est dommage, car Dennett était peu convaincant, à mon avis. A l'époque, en tout cas, j'avais l'impression d'être largement d'accord avec Harris et très peu avec Dennett. Sur le fond, mais également sur la forme (ton condescendant de Dennett). Que conclure alors du fait que je parviens à être d'accord avec une bonne partie de ce que dit Dennett dans la vidéo citée plus haut ?

Ma conclusion provisoire pourra sembler légère, mais j'ai l'impression qu'il y a un problème de forme. Dennett simplifie beaucoup trop la position des déterministes durs (homme de paille). Il polarise du coup le débat ("we" vs "they", les philosophes vs les scientifiques, etc.). C'est beaucoup trop simpliste. J'ai déjà parlé de l'attitude presque condescendante de Dennett, mais, plus concrètement, j'ai vraiment l'impression qu'il a perdu patience, qu'il n'a plus l'intention de s'expliquer et de faire des efforts pour comprendre la position de ses opposants. C'est ironique, pour quelqu'un qui préconise précisément de le faire.

Une autre conclusion, sur le fond, cette-fois ci : je pense que Dennett (mais ça n'est pas le seul) sous-estime la position du libre arbitre libertarien. Il n'en parle pas (ou très peu), comme s'il était évident que c'est une position sans intérêt. Si c'est le cas, je suis tout de même partiellement d'accord avec lui, mais je pense qu'il vaut la peine de s'y attarder un peu. Eddy Nahmias a la même tendance et donne l'impression de penser que "la plupart des gens" sont en réalité compatibilistes et non libertariens si on les "guide" un peu. De ce que j'ai pu entendre de sa part dans Very Bad Wizards, à nouveau, je suis loin d'être convaincu...

Au final, je suis surtout frustré par les difficultés qu'ont les compatibilistes et déterministes durs à se comprendre. J'ai l'impression que les deux camps sont d'accord sur de nombreux points, mais il est difficile de mettre le doigt précisément sur les points qui posent problème.

Il y a probablement une dimension émotionnelle à cette incompréhension. Lorsque j'ai pris conscience du déterminisme de l'univers dans lequel nous vivons, cela a été un choc pour moi. Un choc similaire à celui que j'ai eu lorsque j'ai vraiment réalisé que j'allais mourir un jour. J'entends par là : réaliser instinctivement, pas simplement d'un point de vue intellectuel.

Dans son livre Consciousness: Confessions of a Romantic Reductionist, Christof Koch semble avoir une réaction similaire : "Personally, I find determinism abhorrent. The idea that your reading of my book at this point in time is inherent in the Big Bang evokes in me a feeling of complete helplessness." Puis il consacre plusieurs pages à expliquer que l'imprédictiblité de l'univers lui permet d'échapper à cette angoisse : "Both quantum mechanics and deterministic chaos lead to unpredictable outcome. [...] Although indeterminism has little to say about whether I can make a difference, whether I can start my own chain of causation, it at least ensures that the universe unfolds in a an unpredictable manner."

Etrange réaction de la part de Koch : pour moi, si l'univers est déterministe, qu'il soit imprédictible ou non en pratique ne change rien à mon choc initial. D'ailleurs, toutes les interprétations de la physique quantique ne s'accordent pas à dire que l'univers n'est pas déterministe.

Un autre indice qui me fait penser que l'aspect émotionnel est important : dans "Religion, meaning, and morality", Sommers avoue ne pas comprendre la réaction négative de Camus par rapport à l'absurdité de la vie. Il ne semble pas non plus particulièrement dérangé par la perspective de sa propre mort. Pizarro, quant à lui, conclut que c'est une question de caractère et ne partage pas cette distance émotionnelle.

Mais revenons au débat qui nous occupe. A mon avis, cette dimension émotionnelle crée le clivage auquel nous assistons. Pour des gens tels que Harris et Coyne, le déterminisme semble être un élément primordial du débat, à ne jamais perdre de vue, alors que pour des compatibilistes tels que Dennett ou Sommers, ce même déterminisme, s'il est réel, semble ne pas être un problème : il peuvent facilement en faire abstraction et se concentrer sur la construction sociale qu'est la responsabilité morale.

Cela étant dit, je ne suis pas certain que ni les compatibilistes ni les déterministes durs aient une position complète par rapport au libre arbitre, à la question de la responsabilité, etc. Un point de vue pluraliste, tel que celui de Miessler, qui consiste à garder en permanence à l'esprit l'absence d'un libre arbitre absolu et la présence d'un libre arbitre pratique me semble plus prometteuse. Cela revient à avoir constamment une vision microscopique (déterminisme) et macroscopique (société) du monde qui nous entoure. Un grand écart difficile à mettre en pratique, mais important pour avoir une vue la plus complète de la réalité.

Au final, au moment où j'écris ces lignes, j'ai surtout l'impression que le débat autour du libre arbitre est largement sémantique et émotionnel. Je pense que les deux camps, les compatibilistes et les déterministes durs, gagneraient à essayer de mieux comprendre la position "opposée", y compris d'un point de vue psychologique (i.e. "Comment la personne en face de moi en est arrivée à sa position actuelle ?"). Je ne prétends pas y être parvenu. Loin s'en faut. Mais il serait encourageant de voir des gens bien plus intelligents et cultivés que moi tel que Dennett montrer le bon exemple.

Note. Au moment de publier cet article, je découvre que Sam Harris vient de publier un épisode de son podcast avec Daniel Dennett concernant le libre arbitre. J'ai hâte d'écouter cette discussion !

Mise à jour (5 juillet 2016). La discussion entre Sam Harris et Daniel Dennett donne lieu à de nombreux commentaires sur Reddit et Twitter.

Mise à jour (7 juillet 2016). Je peux confirmer que je rejoins largement la position de Daniel Miessler sur le sujet. Celui-ci vient de publier un article résumant son point de vue : "Functional Free Will". Il propose une nouvelle terminologie qui tente de réconcilier les compatibilistes et les incompatibilistes : libre arbitre fonctionnel.

Sunday, June 26, 2016

Travail, intelligence artificielle et revenu de base inconditionnel (RBI)

Je vais essayer quelque chose que je n'ai encore jamais fait sur ce blog (sauf erreur) : reprendre le contenu de plusieurs mails que j'ai écrits pour en faire un article. Il m'arrive encore régulièrement de rédiger de longs mails, mais je me dis que, si ces mails ne sont pas personnels, je n'ai pas de raisons particulières de ne pas les publier.

J'ai écrit le mail qui suit après une discussion (orale) un peu mouvementée concernant le lien entre le revenu de base inconditionnel (RBI), qui a largement été rejeté par la population suisse, et l'intelligence artificielle :

"L'idée selon laquelle l'innovation technologique a toujours créé plus d'emplois qu'elle n'en a fait disparaître est la position par défaut. Je pense qu'on peut facilement le mettre en évidence par une analyse historique. Et je ne dis pas qu'il n'est pas intéressant de voir comment la technologie a influencé négativement ou positivement les emplois et la société en général dans le passé, mais ce genre d'analyses a ses limites.

L'exemple bateau est celui de l'imprimerie, qui a largement - mais pas totalement, en tout cas pas du jour au lendemain - supprimé le travail manuel des copistes (scribes, moines, etc.) et par la même occasion créé de nombreux autres emplois.

Le problème, comme dit, c'est qu'on fait face à un phénomène nouveau et unique dans l'histoire de l'humanité : l'informatique et l'intelligence artificielle arrivent à maturité. Petit à petit, beaucoup plus lentement que les chercheurs trop optimistes des années '50 ne le pensaient, les résultats concrets arrivent. Depuis moins de dix ans, le deep learning (une technique d'apprentissage automatique) donne lieu à des résultats impressionnants. Il ne se passe quasiment pas un mois sans une annonce que cette technique a été appliquée avec succès à un domaine nouveau. Pourtant, il s'agit en partie de modèles et algorithmes qui ont été proposés dans les années '80 déjà.

Là où je voulais en venir : qui dit phénomène nouveau dit qu'il n'est plus possible de se baser sur le passé pour prédire le futur. En tout cas plus aussi facilement. Et certainement pas en faisant référence à des évènements vieux de plusieurs siècles.

En 1997, lorsque Deep Blue a battu Kasparov aux échecs, il l'a battu en profitant de sa vitesse de calcul supérieure et de toute la stratégie que les programmeurs avaient réussi à "injecter" manuellement dans le logiciel.

Par contre, en 2016, lorsque AlphaGo a battu Sedol (meilleur joueur du monde de 2000 à 2010) au jeu de go (jeu bien plus complexe que les échecs), c'est en apprenant tout seul à y jouer en analysant des dizaines de milliers de parties et en jouant automatiquement contre lui-même !

La différence semble subtile, mais elle est fondamentale : les machines commencent à réellement apprendre, au sens où on l'entend communément. Comme l'explique Michael Nielsen (un spécialiste en deep learning) : "We have learned to use computer systems to reproduce at least some forms of human intuition."

Et ça n'est que le début !

Personnellement, j'ai tendance à rejoindre Stephen Hawking, Elon Musk, Bill Gates et toutes les autres personnes qui pensent que l'intelligence artificielle représente aussi un danger et qu'il faut y réfléchir dès aujourd'hui.  Le corollaire, c'est que j'ai tendance à être de plus en plus dubitatif face à toute personne voulant nous bercer avec l'idée que l'histoire va forcément se répéter. Parce que c'est une idée qui devient dangereuse.

De manière un peu égoïste, c'est un sujet qui me touche également beaucoup parce que je sais que j'ai encore trente ans de vie professionnelle devant moi et que, trente ans, à la vitesse où les progrès se font, c'est une éternité. Je sais que je vais forcément être impacté d'une manière ou d'une autre par l'automatisation du travail.

Quelques articles que j'ai trouvé intéressants sur le sujet :
Le second mail, quant à lui, est un résumé de l'émission C dans l'air du 7 juin 2016, "Nouveau ! Le revenu universel", raison initiale de notre discussion :

"J'ai regardé l'émission (65 minutes). Voir mes notes à la fin.

En gros, c'était intéressant. Il y a eu de nombreux questionnements autour de la question pratique de la mise en place du revenu de base inconditionnel, de son financement, des implications sur la société, de la concentration des richesses, etc.

Mais, comme je le craignais, la question de l'automatisation du travail (intelligence artificielle, robotisation) a été largement balayée d'un revers de main.

Tout au début, Dessertine ramène la question des robots à celle des machines à laver (sérieusement, mais sans développer). On croit rêver. En résumé, il minimise en disant : on ne sait pas ce qui va se passer ; des nouveaux métiers vont apparaître. Il n'aborde pas vraiment le problème, en fait.

Trouvé semble obnubilée par les injustices sociales, voit le RBI comme une source de précarisation, mais ne semble pas avoir de projet concret pour faire face à l'automatisation du travail. Elle semble être très confiante que la "transition écologique" (nouvelles sources d'énergie, etc.), ainsi que les crèches/écoles proposeront naturellement de nouveaux emplois. Comme par magie, apparemment.

Inchauspé est la plus sceptique face à l'automatisation du travail : "les robots ne vont pas fonctionner tout seul", "ce ne sont pas les robots qui vont s'occuper des vieux", "les robots ne vont pas piquer tous les boulots". Ca me semble dangereusement optimiste et en décalage par rapport avec ce qui va se passer, comme position.

Koenig, quant à lui, ne parle quasiment pas de l'automatisation du travail. Peut-être parce qu'il va de soi que c'est un problème et qu'il pense avoir une solution (RBI, impôt négatif) ? Je ne sais pas.

Philippe Dessertine (économiste):
  • disparition des emplois : on ne sait pas
  • compare robots avec machines à laver
  • 60% des métiers qui existeront dans 10 ans n'existent pas encore
  • travail : aussi possible comme source de plaisir (logiciels open source, volontariat, etc.), rénumération secondaire
  • RBI : migrants poseront les mêmes problèmes qu'à l'heure actuelle (condition = nationalité)
Aurélie Trouvé (Attac):
  • transition écologique => nouveaux emplois
  • besoin d'emplois : crèches, écoles
  • travail = source de valeur, reconnaissance sociale
  • but (idéal) = plein emploi
  • robotisation : rêve de semaines de 20 heures, devons pouvoir profiter de l'augmentation de la productivité, augmentation congés paternité, formation, etc.
  • RBI : danger pour les assurances sociales, précarisation
  • RBI : encouragera encore plus la concentration des richesses
Irène Inchauspé (Opinion):
  • les prévisions/prédictions : ne marchent pas (= sont toujours incorrectes=
  • mettre l'accent sur la formation des jeunes
  • les robots ne vont pas fonctionner tout seul
  • ce ne sont pas les robots qui vont s'occuper des vieux
  • les robots ne vont pas piquer tous les boulots
  • problème du financement, ne marchera pas avec les impôts
  • on doit gagner selon ce que l'on apporte à la société 
Gaspard Koenig (philosophe):
  • travail (relation subordonnée) -> devenir maître de son destin (autonomie)
  • votation suisse = mauvaise, car pas de méthodes de financement claires
  • propose plutôt un impôt négatif
  • RBI = crédit d'impôt
  • RBI : permet d'éviter l'infantilisation des assurances sociales (paternalisme)
  • y aller par étape (conditionnel + inconditionnel)
  • 40 ans d'expériences (RBI) : prouvent que les gens restent actifs
  • RBI : emplois les moins bien rémunérés devront l'être plus (selon règles du libéralisme)
  • RBI : vrai projet de société"

Saturday, May 28, 2016

La technologie comme solution au bruit routier

Au départ, je pensais écrire un article spécifiquement sur le bruit des motos. Nous habitons à la campagne, mais près d'une route avec pas mal de circulation. Dont pas mal de motos, justement, surtout lorsqu'il fait beau. Cet article aurait été une tentative d'analyse psychologique, tentant de démontrer que les propriétaires de motos, des véhicules en moyenne particulièrement bruyants, sont des gens primaires et égoïstes. Un coup de gueule, en somme.

Réflexion faite, j'aimerais écrire un article plus positif et, surtout, inscrire cette problématique dans un contexte un peu plus général. Mais pas trop général : je sais qu'il existe énormément de sources de bruits (avions, trains, voisins, chantiers, industrie, etc.), mais c'est bien du bruit routier dont j'aimerais parler.

Le premier constat encourageant, c'est que, même si ça n'est pas une problématique dont on parle souvent (j'en discute rarement avec mes amis ou mes collègues, par exemple), il semblerait que je ne sois pas le seul à trouver le bruit routier gênant. Des associations existent. En Suisse, si je me souviens bien, Cercle Bruit avait réalisé, il y a un an ou deux, une campagne spécifiquement dédiée au bruit routier, encourageant les conducteurs à rouler à bas régime.

J'en profite ici pour citer un tweet de @BoredElonMusk, qui illustre que l'agacement provoqué par le bruit routier et, en particulier, celui causé par les motos, est bien universel :
“Service that lets you hire loud motorcycles to follow other loud motorcycles to sit outside their house and just rev for an extended period.”
Je paierais cher pour un tel service...

Le deuxième constat encourageant, c'est que, selon un ami, la police commence à prendre le problème du bruit routier au sérieux et à distribuer des amendes aux propriétaires d'engins trop bruyants (car il y a, fort heureusement, des lois contre ce genre de véhicules). C'est parfaitement anecdotique et ne concerne, en l'occurence, que la région lausannoise, près de laquelle j'habite.

Comme le savent ma femme, ma famille, mes amis, mes collègues et, en résumé, toute personne avec qui j'ai parlé plus de dix minutes, je suis absolument enthousiasmé par les concepts de voitures électriques, d'une part, et de voitures autonomes, d'autre part.

Le troisième constat encourageant, donc, c'est que les voitures électriques abordables, c'est pour bientôt. Tesla a annoncé il y a deux mois son Model 3, qui devrait être vendu pour 35'000 dollars. Les Pays-Bas ont également annoncé vouloir interdire la vente de véhicules non-électriques d'ici 2025. D'ici neuf ans. Ca n'est pas demain, mais presque. Je ne suis évidemment et de loin pas la seule personne à être autant excitée par cette tendance. Voir par exemple cet article : "The Electric Car" ("The electric car is going to take over the world. Soon.").

Passé un certain enthousiasme initial, toutefois, une recherche rapide permet de comprendre que "les voitures électriques ne sont moins bruyantes" que jusqu'à 30 km/h (voir "Fiche d’information concernant la 2e idée reçue : Les voitures électriques sont une solution au problème du bruit" et "Description of basic variables"). Autrement dit, les voitures électriques ne résolvent pas totalement la problématique du bruit routier. En effet, à des vitesses supérieures à 30-40 km/h, la majorité du bruit causé par un véhicule vient des pneus et du revêtement routier, pas du moteur.

Les véhicules électriques seraient-ils une fausse piste ? Je ne pense pas, pour plusieurs raisons.

La première raison est qu'une très grande partie de la population, il me semble, vit dans des zones où les véhicules roulent à des vitesses relativement faibles (villes et villages) et non près d'autoroutes, où la vitesse moyenne des véhicules fait que la majorité du bruit, on peut s'en convaincre aisément, est effectivement produit par le frottement des pneus contre la chaussée.

La deuxième raison est qu'en Europe, en tout cas, les boîtes manuelles sont bien plus répandues que les boîtes automatiques et que la plupart des conducteurs ne savent pas (ne veulent pas ?) rouler à bas régime (disons, autour des 1500-2000 tours / minute maximum). Parler du bruit routier en termes de vitesse moyenne uniquement ne donne pas une image exacte/complète de la situation. C'est nier le fait qu'une partie non-négligeable des usagers de la route roulent régulièrement à un régime beaucoup trop élevé. Ce sont bien les pics de bruit, ceux qui dérangent les riverains, qu'il faut prendre en considération (donc les changements de vitesse, accélérations, décélérations, etc.).

Troisième et dernière raison : il me semble (à nouveau, c'est un point à vérifier) que les bruits graves (typiquement ceux causés par les moteurs) traversent plus facilement les murs et les fenêtres que les bruits aigus (typiquement ceux causés par les pneus au contact de la chaussée). Au final, le bruit qui dérange les riverains est souvent celui perçu à l'intérieur des habitations (lorsqu'ils dorment, par exemple) et moins celui perçu à l'extérieur (sur une terrasse ou un balcon). C'est du moins mon cas.

Au final, je reste donc toujours excité par le développement des voitures électriques. Je suis convaincu qu'elles participeront à un environnement moins bruyant. Et n'oublions pas qu'il y a d'autres raisons de se réjouir (réduction de la pollution de l'air, écologie, etc.). C'est la seule solution plausible et viable sur le long terme. Comme l'explique Matthew Inman, il est absurde que nous en soyons encore à utiliser des véhicules basés sur des moteurs à explosion, qui utilisent des liquides combustibles, polluants et non renouvelables.

Quoi qu'il en soit, que les voitures électriques participent à rendre significativement moins aigu le problème de la pollution sonore ou non, des revêtements de route et des pneus silencieux devraient également être encouragés, voire rendus obligatoires. Le cumul de plusieurs solutions est souvent une bonne approche.

A encore plus long terme (mais peut-être pas tant que ça ?), les voitures autonomes devraient permettre une petite révolution des transports publics (optimisation des trajets, trajets à la demande, etc.). J'espère que ce développement permettra aussi de réduire le nombre de véhicules sur les routes, mais ce point reste à confirmer.

En conclusion, j'espère que la société verra un jour les véhicules bruyants comme elle voit aujourd'hui la fumée dans les lieux publics, à savoir comme un facteur négatif pour la santé publique et, donc, quelque chose de complètement absurde.

Je suis probablement victime de mon côté rêveur, mais, bien plus que la simple réduction du bruit ambiant, j'espère que les lieux de vie communs (villes, quartiers, villages, etc.) deviendront un jour globalement plus agréables, plus paisibles, plus esthétiques. Oui, je sais, il y a certainement des problèmes plus pressants à résoudre, mais l'un n'empêche pas l'autre. J'aime beaucoup les villes qui arrivent, par leurs parcs, leurs rivières ou la manière dont elles intègrent la végétation avec les bâtiments et les rues, à devenir moins étouffantes, à recréer une sorte d'ambiance de campagne à la ville, en quelque sorte.

Une campagne sans motos, bien entendu !

Mise à jour (5 juin 2016). La Norvège se lance apparemment sur la même voie que les Pays-Bas : "Norway reportedly agrees on banning new sales of gas-powered cars by 2025". Comme l'article l'explique, il semblerait que le projet des Pays-Bas ne soit pas aussi avancé que celui de la Norvège. Espérons toutefois que ces deux Pays fassent des émules !

Saturday, May 14, 2016

Three days in Copenhagen

You can find many similar (and better) guides on the web. This is my small contribution, mainly for reference purposes.

We had a very nice hotel, Absalon Hotel, close to the Central Station (a couple of minutes away on foot). This was probably not the most interesting and/or beautiful neighborhood, but it was definitely convenient.

In my opinion, you don't necessarily need the CityPass or the Copenhagen Card. As for us, we mainly walked. A lot. We also used an electric bike on the first day, for 2-3 hours. That was really fun (I highly recommend it). We also used the train, the metro and Uber (see below).

We managed to pay everything using our credit cards. No cash at all. That was somewhat unexpected. At some point, we wanted to take the bus, but they didn't accept credit cards inside the bus and there was no ticket machine at the bus stop. We ended up using Uber, which was not too expensive compared to the bus. Note for next time: use the smartphone app for train, metro, and bus tickets.

Day 1 (May 4)
Day 2 (May 5)
  • Train from Copenhagen Central Station to Helsingør (53 minutes)
  • Kronborg Castle (gorgeous castle in Helsingør; yes, the 1-hour trip is worth it) (photos)
  • Ogier the Dane / Holger Danske (in the castle; don't miss it, it's in the basement!)
  • Train from Helsingør to Humlebæk (11 minutes)
  • Lunch: at the museum (pretty good)
  • Louisiana Museum of Modern Art (if you like modern and contemporary art, this is an absolutely fantastic place!) (photos)
  • Train back from Humlebæk to Nørreport (36 minutes)
  • Round Tower / Rundetaarn (we didn't go inside; the view is probably far better from Vor Frelsers Kirke anyway)
  • Grabrodretorv (nice square for a drink before dinner)
  • Dinner: Sole D'Italia (very small restaurant on Grabrodretorv, good Italian food)
  • Tivoli Gardens (a bit too expensive, but I guess you have to see it ; if you're not particularly interested in the rides / attractions, go there during the evening)
Day 3 (May 6)
That's it. We loved Copenhagen and I'm pretty sure we'll visit it again in the future.

My photos (Flickr):

Friday, April 29, 2016

Le deuil

Je n'ai jamais vraiment vécu de deuil. Oui, j'ai perdu des oncles et tantes. J'ai perdu mes grands-parents. J'ai pleuré pour eux. Et je me sens toujours triste quand je pense à eux. Mais je n'ai jamais perdu mes enfants ou ma femme.

J'ai de la chance. J'en suis conscient. C'est un cliché, mais je suis un homme, blanc, vivant dans un pays riche. Régulièrement, des gens perdent toute leur famille, du jour au lendemain.

Alors, forcément, je me sens un peu coupable d'être toujours dans cette sorte de mélancolie permanente huit jours après la mort de mon musicien préféré. J'ai raconté à plusieurs personnes, proches, que j'avais pleuré le soir où j'ai appris la nouvelle de son décès. J'ai à chaque fois eu droit à une réaction de surprise. Et je le comprends : c'est indécent, dans un monde tel que le nôtre, de pleurer pour quelqu'un qu'on ne connaît pas personnellement et avec qui on n'a jamais parlé.

Il paraît que le deuil ne concerne jamais le défunt, mais notre propre personne, la manière dont nous vivons la perte d'un être cher. Alors j'imagine que cette situation ne fait que révéler la sursensibilité dont je n'ai jamais réussi à me débarrasser. Plus positivement, c'est aussi l'occasion de prendre un peu plus conscience de la chance que j'ai et de relativiser mes problèmes quotidiens. Les anglophones parlent de first world problems. J'aime bien cette expression.

Mise à jour (2 mai 2016).  Un article (en anglais) sur ce thème : "For many fans, the impact was akin to the loss of a family member. Through his music they were able to feel that he got them, even if they had never met."

Monday, April 25, 2016

Sometimes It Snows In April : une playlist hommage à Prince

En tant que fan, il est difficile de rendre hommage à Prince aussi rapidement après sa mort. Ces derniers jours, nous avons eu droit à un déluge d'informations et de témoignages dans les médias - que j'ai soigneusement évités, autant que possible.

Son génie musical a été reconnu, pas unanimement, bien sûr, mais largement. Du peu que j'ai pu entrevoir, ce sont malheureusement toujours les mêmes chansons qui ont été diffusées à la radio et à la télévision - "Purple Rain", "Little Red Corvette", "Let's Go Crazy", "Kiss", "Cream" et j'en passe.

Ce ne sont pas de mauvaises chansons. Loin de là. Mais ça n'était pas le Prince que j'écoutais depuis des années - je le connais depuis 1989. J'aimerais donc proposer ici une sélection de chansons qui ont une signification particulière à mes yeux. J'aurais pu préparer une playlist rock, funk ou jazzy. Une playlist de balades. Une playlist de ses chansons chantées en falsetto. Une playlist guitare ou piano. L'exercice est ici différent : ce sont les premières chansons que j'ai eu envie d'écouter depuis la mort de Prince. Pas de "hits". Pas de morceaux connus. Simplement des chansons qui, par leur atmosphère, leurs paroles ou la manière dont elles m'ont accompagné dans la vie, sont importantes pour moi.

Prince est mort le 21 avril 2016. Seul, chez lui. Exactement 31 ans plus tôt, le 21 avril 1985, il enregistrait "Sometimes It Snows In April" avec Lisa Coleman et Wendy Melvoin. C'est une chanson qui parle du départ d'un être aimé. Un peu cliché ? Tant pis. Prince, c'était aussi ça : le cliché assumé.