Sunday, November 8, 2009

Non, l'athéisme n'est pas une religion

Récemment, l'émission Le Grand 8 de La Première (Radio Suisse Romande) a diffusé un débat à propos d'une campagne, lancée le mercredi 28 octobre 2009 en Suisse par l'Association Suisse des Libres Penseurs (ASLP), dont le slogan principal est : "Dieu n'existe probablement pas, cesse de t'en faire, profite de la vie". Les invités étaient Eric Jaffrain ("spécialiste en marketing non marchand, a réalisé des campagnes de communication pour les églises") et Pierre Weiss ("vice-président du Parti libéral-radical suisse, sociologue"). Aucun membre de l'ASLP ou athée n'était présent, ce qui est bien regrettable, car ce "débat", à mon sens, ne volait pas très haut.

Il me semble qu'un certain amalgame a été fait entre les appellations "libre penseur" et "athée". J'utiliserai donc par la suite de préférence le terme "athée". Je ne crois pas que cela trahisse l'esprit du débat du Grand 8. Je précise également que je ne suis que très peu familier avec l'ASLP. Voici quelques idées qui ont été évoquées (par M. Jaffrain et M. Weiss) et auxquelles j'aimerais réagir :
  1. L'athéisme est une religion comme les autres. Il suffit de revenir aux définitions de la religion et de l'athéisme pour réaliser qu'il s'agit d'une idée absurde. Le fait qu'une association (l'ASLP, en l'occurence) regroupe des personnes ayant une vision plus ou moins commune de la spiritualité ou, de manière générale, des dogmes, ne suffit pas à en faire une religion. Ou même une secte. Le fait d'avoir affaire à une organisation hiérarchisée (l'ASLP, pas l'athéisme, bien entendu) n'est pas non plus un critère suffisant. Il s'agissait peut-être pour M. Jaffrain d'une manière de ramener un concept étranger et "menaçant" (l'athéisme) à quelque chose de connu. Au final, c'est une preuve d'ignorance ou, tout du moins, de malhonnêteté intellectuelle.
  2. La science n'est rien sans une dimension spirituelle. C'est une idée très courante et un peu naïve, que dénonce en particulier Richard Dawkins, selon laquelle la religion (qui répondrait au "pourquoi") est nécessaire pour éclairer la science (qui répondrait au "comment"). Soit, la science n'est pas habilitée à répondre au "pourquoi", mais la religion ne l'est en réalité pas beaucoup plus. On a souvent tendance à oublier le rôle de la philosophie, qui est parfaitement à même de proposer sinon des réponses, en tout cas des pistes de réflexion autour de cette question du "pourquoi".
  3. L'athéisme ne propose pas de vision à long terme. Je paraphrase et je simplifie, car il était plus question du slogan ("Profite de la vie") que de l'athéisme en général, mais j'ai eu l'impression que tout était mis dans un même sac. L'athéisme répondrait à un besoin contemporain d'hédonisme, de pragmatisme, d'individualisme, etc., alors que la religion permettrait une vision de fond, une vision à long terme. A nouveau, c'est une représentation dualiste et simpliste des choses. La religion n'a pas l'apanage de la "réflexion sur le long terme", loin s'en faut. Je me répète, mais la philosophie, l'éthique et, oui, même la politique ont là un rôle à jouer. Beaucoup plus que la religion.
  4. Cette campagne est un défi pour les croyants. Elle cherche à susciter une réflexion (le terme "probablement", par exemple, est important), mais, présenter les choses ainsi, en parlant de défi, c'est un peu inviter les croyants à s'attacher, coûte que coûte, à leurs croyances. Cela me rappelle la façon dont certains créationistes considèrent les fossiles : un défi lancé par Dieu aux croyants, au lieu d'éléments indiquant que la théorie de l'évolution est valide.
  5. Être athée, c'est nier ses racines spirituelles et historiques. On peut changer de point de vue, de manière de voir le monde, sans "nier ses racines". Je peux être végétarien, par exemple, et accepter que l'homme ait évolué pour devenir omnivore. Les valeurs que partagent la plupart des Suisses (et les "pays occidentaux" en général) ont une origine judéo-chrétienne, mais ces valeurs ne sont pas intrinsèquement liées à la religion, qui n'en a été que le vecteur. Ce dernier point n'est pas une fatalité. L'éthique, par exemple, peut exister indépendamment de la religion (heureusement, on peut être athée et ne pas être automatiquement un criminel assoiffé de sang !). Tout comme la politique peut (et devrait) faire abstraction des questions religieuses (point sur lequel M. Weiss ne semblait pas convaincu).
  6. Avec cette campagne, les athées cherchent à élargir leur part de marché. Ce n'est pas faux, mais c'est une manière plutôt péjorative de présenter les choses. L'athéisme n'est pas une entreprise commerciale. C'est un courant de pensée. Une attitude par rapport à la vie. Comme cela a été mentionné plus haut, cette campagne répond à des campagnes similaires d'associations chrétiennes. Il est presque normal qu'elle utilise les mêmes "armes" (affiches, slogans, etc.).
  7. Les villes ne devraient pas refuser cette campagne, car les croyants ont suffisamment la foi. A nouveau, je paraphrase. Il est positif que M. Jaffrain et M. Weiss soient plutôt "pour" cette campagne de l'ASLP, mais ils devraient l'être pour de bonnes raisons, pas parce que "37% des Suisses prient tous les jours", alors que seuls 11% se déclarent "sans appartenance religieuse". La liberté d'expression ne devrait pas être limitée aux seuls cas où elle ne menace pas le courant de pensée dominant.
Au final, je dirais que l'athéisme mérite mieux que ce genre de "discussions de café du commerce". Je ne suis pas forcément non plus convaincu par le slogan de l'ASLP. Pourquoi avoir choisi la piste de l'hédonisme ? L'athéisme est bien plus que cela. Il est lié à des valeurs humanistes, à la raison, etc. J'apprécie particulièrement les slogans qui ont vu le jour ces derniers mois aux Etats-Unis, qui s'adressent avant tout aux athées et aux agnostiques. "Vous ne croyez pas en Dieu ? Vous n'êtes pas seuls.", par exemple. Une idée pour une prochaine campagne en Suisse ?

Mise à jour (28 novembre 2009). Le blog Friendly Atheist propose une compilation de slogans datant de 2008 et 2009. J'espère que des campagnes similaires atteindront l'Europe (et la Suisse en particulier) un jour.