Saturday, March 10, 2012

City Disc et le prix unique du livre

Il y a quelques jours, il a été annoncé que City Disc, la dernière chaîne de magasins de disques suisse, va bientôt disparaître. Orange Suisse, propriétaire de la chaîne, va apparemment transformer les enseignes actuelles en points de vente Orange traditionnels, dès le 1er avril 2012. "La fin d'une époque", commente 20 Minutes.

C'est vrai que j'en ai passé du temps, dans les magasins de disques ! Mon premier achat musical date de 1993. Selon mes notes personnelles, j'ai acheté chez City Disc des classiques tels que Kind of Blue de Miles Davis, My Song de Keith Jarrett, Heavy Weather de Weather Report ou Sign 'O' The Times de Prince. Selon ces mêmes notes, j'ai acheté mon dernier disque dans un magasin "physique" (un brick-and-mortar store, en anglais) en 2005, chez MediaMarkt, une chaîne de distribution allemande spécialisée dans l'électronique et l'électroménager.

Pourtant, depuis, je n'ai pas cessé d'acheter de la musique. Certes, ces dernières années, mes achats musicaux ne sont plus aussi nombreux qu'il y a quinze ans, mais cela est surtout dû au fait que ma collection musicale commence à "suffire". Parmi les enregistrements que je considère comme des classiques, certains ont probablement déjà été écoutés des dizaines, voire des centaines de fois. Outre ce phénomène, il y a aussi celui des achats sur Internet, dans des magasins tels qu'Amazon ou Fnac, mais aussi directement sur les sites officiels des labels (ECM Records, par exemple), ceux des musiciens ou encore sur des sites de ventes aux enchères (donc via des particuliers). Ce ne sont pas les alternatives qui manquent.

J'ouvre ici une parenthèse pour préciser que, oui, en 2012, j'achète encore des CD sur Internet. Des morceaux de plastique et de papier, envoyés physiquement par la poste. Les gens qui me connaissent verront peut-être là un paradoxe, car je préfère, autant que possible, une alternative complètement "dématérialisée", pour mes médias (musique, vidéos, livres, documents, etc.). L'explication est simple : je ne supporte pas l'idée d'acheter ma musique au format MP3. Pourtant, je ne me considère par comme un audiophile. Je serais bien incapable de faire la différence entre un MP3 bien encodé et un fichier lossless (au format FLAC, par exemple, que j'utilise pour stocker toute ma collection musicale). Le format MP3 souffre toutefois de certains défauts :
  • bien que certaines solutions à ce problème existent, il ne s'agit pas d'un format gapless ;
  • selon le débit et l'encodeur utilisés, il y a toujours un risque que le résultat soit réellement mauvais (et que mêmes mes oreilles peu entraînées puissent faire la différence avec une source non-compressée) ;
  • en cas de réencodage dans un autre format (Vorbis ou AAC, par exemple), des artefacts de transcodage, bien réels, à nouveau, peuvent apparaître.
Certains magasins en ligne vendent de la musique dans des formats lossless, sans DRM et avec les livrets au format PDF, comme par exemple HDtracks, mais le choix est encore malheureusement restreint. J'espère vraiment que le CD meure complètement ces prochaines années et que les alternatives fleurissent. Et je referme ici la parenthèse.

Il y a un peu moins de cinq ans, je m'exprimais, non sans une certaine nostalgie, sur la disparition des petites salles de cinéma de Lausanne. Aujourd'hui, c'est quasiment sans nostalgie que j'assiste à la fermeture des magasins de disque et ce sera aussi sans nostalgie que j'assisterai à la fermeture des librairies. Difficile, ici, de ne pas mentionner la votation populaire sur le prix unique du livre du 11 mars 2012 en Suisse. Je cite le troisième argument listé sur le site oui-au-livre.ch : "[Le prix unique du livre] contribue au maintien de librairies partout en Suisse. (...) Sans une réglementation appropriée, les lecteurs des plus petites villes et des régions périphériques risquent fort de ne plus bénéficier d’une offre variée et de conseils personnalisés." Cela aurait pu être vrai il y a quelques années à peine (pour l'offre variée, en tout cas), mais il me semble que c'est un argument qui, en 2012, manque particulièrement de perspective. Le livre électronique suit la musique en ligne avec à peine 5-10 ans de retard. Dans quelques années, les "liseuses" seront moins chères, offriront une meilleure qualité graphique, une surface de lecture plus grande, etc. Le livre électronique se démocratise à une vitesse impressionnante. Il est quasiment certain qu'il aura le même succès dans quelques années que la musique en ligne aujourd'hui.

Evidemment, le livre en papier a encore de beaux jours devant lui. La question n'est pas là. Il y aura toujours un marché pour les vieux livres et les éditions plus luxueuses (je pense, par exemple, à la Pléiade). Tout comme il y a toujours un marché aujourd'hui pour les vinyles, neufs ou de collection. D'un certain point de vue, en passant à des formats dématérialisés, on pourrait dire qu'il y a un appauvrissement du rituel de l'écoute et de la lecture. Bien qu'étant né quasiment en même temps que le disque compact, je suis familier avec le "rituel du vinyle" : sortir le disque de sa pochette, le déposer sur le tourne-disque, regarder le bras se déplacer au-dessus des sillons, se lever à la moitié d'un album pour changer de face, etc. De même, pour un livre, je comprends qu'on puisse apprécier le toucher du papier, son odeur, feuilleter les pages, etc. Ecouter un morceau de musique sur son iPhone ou lire un livre sur son Kindle n'a peut-être pas le même charme. Pourtant, je n'ai jamais autant écouté de musique et autant lu que maintenant. C'est pour moi un retour à l'essentiel. A la musique. Au texte. La disparition de l'objet physique peut être déroutante, mais rien n'empêche de trouver d'autres rituels, si vraiment le besoin est là. Pour moi, ça n'est pas le plus important. Tout comme la musique et le musicien sont plus importants que le magasin de disques, le texte et l'écrivain sont plus importants que la librairie. Ne nous trompons pas de combat.

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