Tuesday, February 28, 2012

Le juste milieu

Comme beaucoup de gens, sans doute, il m'arrive régulièrement d'avoir des discussions assez mouvementées concernant des sujets qui me tiennent à cœur. Je me considère comme un sceptique, donc j'ai fréquemment l'occasion de dénoncer nombre de pseudo-sciences, telles que les médecines alternatives et complémentaires (homéopathie, acupuncture, etc.), l'astrologie, les effets de la lune sur la pousse des poils et bien d'autres inepties. Les légendes urbaines et autres théories du complot n'échappent pas cette habitude. En tant qu'athée, je pointe régulièrement du doigt les incohérences et les paradoxes inhérents aux croyances religieuses.

J'espère avoir l'occasion d'en parler plus en détail dans un futur article, mais j'ai également un certain nombre de "croyances" loin d'être partagées par tout le monde : existence d'une réalité matérielle et objective unique - position réaliste et matérialiste, sauf erreur -, absence de libre-arbitre, possibilité que l'être humain crée une intelligence égale puis supérieure à la sienne dans le siècle à venir, végétarisme, etc.

A plusieurs reprises, ces derniers temps, on m'a fait remarquer que la vérité se trouvait probablement "au milieu". Ou qu'il "fallait trouver un juste milieu". Je ne sais plus. Quelque chose de cet ordre-là. Plus récemment, on m'a fait remarquer qu'entre croyance et scepticisme, "il fallait un certain équilibre".

Que répondre à cela ?

Tout d'abord, que si on peut attribuer une certaine vertu à la modération, celle-ci souffre de nombreuses exceptions. Quel est le "juste équilibre" en matière de pédophilie ou de viol ? Quel est le "juste milieu" lorsque l'on parle de famine, de pauvreté ou de violence conjugale ? Le concept perd là tout son sens.

Ensuite, que cet "argument" (argumentum ad temperantiam) reflète surtout un manque d'imagination et ne signifie guère plus que celui qui l'utilise pense représenter, à tort ou à raison, cette position "intermédiaire", juste, entre deux extrêmes.

Je me demande, d'ailleurs, à quel point cette impression d'avoir une position "raisonnable", bien "équilibrée", est répandue au sein de la population. Il doit y avoir là un biais cognitif, mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Je vais me risquer à émettre une hypothèse : ce sentiment provient probablement du fait que toute position très différente de la nôtre paraît, a priori, extrême. (Voir, à ce sujet, l'article "The Myth of Militant Atheism".)

Pour ce qui est de mon scepticisme, il paraîtra excessif pour une grande partie de mes interlocuteurs, mais, de mon point de vue, je passe mon temps à accepter les choses sans les remettre en question (ou très peu, tout du moins). Par exemple, au volant de ma voiture, à un carrefour, je pourrais me demander systématiquement si le feu est bien vert, si je ne risque pas ma vie en ne m'arrêtant pas. Tout compte fait, le modèle que je me fais de la réalité n'est qu'une construction réalisée à partir de signaux électrochimiques envoyés à mon cerveau via mes nerfs optiques (et auditifs, olfactifs, etc.). Qu'est-ce qui me garantit que cette image n'est pas une simulation ? Un mirage ? Un rêve ? Un tour joué par un extra-terrestre ou un dieu doté d'un sens de l'humour incertain ? Rien. Je fais pourtant le pari, en permanence, que ce que mes yeux ou mes oreilles me rapportent du monde réel le représente à peu près fidèlement. Pour moi, c'est ma position qui semble correspondre au "juste milieu" en matière de croyance et de scepticisme.

En fin de compte, il n'y a que des positions plus ou moins défendables intellectuellement. Parfois, la position la plus juste (i.e. la plus défendable) se situe à ce que l'on perçoit comme un extrême. Parfois, elle se situe proche de ce que l'on identifie comme un centre situé entre deux extrêmes opposés. Toutefois, tout cela reste une construction mentale, limitée par nos connaissances et notre imagination.

Mise à jour (7 avril 2012). Cette "tyrannie de l'équilibre" est aussi dénoncée par Paul Grugman dans son article "The Centrist Cop-Out" à propos des Démocrates, des Républicains et du centrisme.

Mise à jour (17 avril 2012). Et encore un argument contre cette illusion du "juste milieu", donné, cette fois-ci, par Bill Maher : "Bill Maher on The Rally to Restore Sanity and/or Fear". (En passant, je peux aussi recommander son documentaire Religulous.)

Mise à jour (23 août 2012). Encore un exemple qui montre que le concept d'extrême (et, donc, de juste milieu) est erroné et mène facilement à une forme de malhonnêteté intellectuelle : "We’re Not on Opposite Sides of the Spectrum".

Mise à jour (16 août 2018). Je découvre avec plaisir aujourd'hui la BD "Je suis une vegan modérée." d'Insolente Veggie, qui exprime bien mieux que moi (un dessin, ça aide toujours !) l'idée que ça n'est pas le milieu qu'il faut viser, mais le juste. Il y a toujours plus extrême que la position qui nous déplaît et le "juste milieu" est donc rarement là on s'imagine qu'il se trouve.

Sunday, February 12, 2012

Metropolis

Récemment, je suis allé voir une projection de Metropolis, de Fritz Lang, au Bourg, à Lausanne. Il s'agissait de la version restaurée de 2010. La bande-son, de la musique électronique, était assurée par Bit-Tuner, un musicien suisse allemand. C'était une expérience... disons... déroutante !

Le premier point marquant, pour moi, était le lieu : le Bourg. Initialement, une des nombreuses salles de cinéma "disparues" de Lausanne (avec l'Athénée, l'ABC, l'Eldorado, le Palace et bien d'autres, que je fréquentais lorsque j'étais étudiant), le Bourg est devenu en 2005 une salle de spectacle (concerts, théâtre, etc.). La projection de l'un des films muets les plus connus dans cet endroit était donc un clin d'oeil bienvenu.

Le second point marquant était la présence de ces vingt-cinq minutes retrouvées en 2008 à Buenos Aires, que l'on pensait perdues à tout jamais. Ces séquences "inédites" proviennent d'une copie de très mauvaise qualité du film. Leur présence, parmi des séquences de meilleure qualité, donne au film un côté mystérieux. Les scènes encore manquantes, décrites par des intertitres, parachèvent ce sentiment de film qui revient de loin. Face à une oeuvre aussi ambitieuse, mais incomplète, je ne peux m'empêcher de penser au Château de Kafka (dans un autre style, puisque ce roman n'a jamais été achevé - mais l'oeuvre de Kafka revient également de loin, ayant survécu contre sa volonté, grâce à son ami Max Brod).

Enfin, c'était la première fois que je regardais un film muet, en tout cas aussi long (je n'arrive pas à me souvenir avec certitude si j'ai déjà vu Les Temps Modernes ou Les Lumières de la ville dans leur intégralité). C'est d'ailleurs le principal intérêt d'aller encore au cinéma, pour moi : la garantie d'être moins dérangé ou, du moins, d'être moins tenté d'interrompre la visualisation d'un film pour faire autre chose. Et, de la concentration, il en faut, pour regarder un film muet de 145 minutes ! En même temps, l'imagination est mise à contribution et il est difficile de décoller les yeux de l'écran.

Pas de bande-son originale pour Metropolis, donc, mais une bande-son live, jouée par Bit-Tuner. Une musique définitivement d'une autre époque que le film lui-même, mais en même temps très adaptée au côté science-fiction de l'oeuvre. Une superposition temporelle de plus, qui rend l'expérience unique, au sens propre, comme au sens figuré.

Un film sans couleurs et sans son, mais encore capable, 85 ans plus tard, de nous captiver et de nous emmener dans son univers trouble et futuriste. A méditer...