Sunday, October 19, 2025

Comment je me vide la tête depuis plus de 30 ans

Hier, lors d'une randonnée, j'ai dû m'arrêter une bonne dizaine de fois en quelques heures pour noter des idées sur mon téléphone. C'est à peu près ma vie depuis des décennies : mon cerveau a de la peine à s'arrêter.

Je suis quelqu'un qui réfléchit beaucoup, donc. J'ai constamment des idées qui me tournent dans la tête. C'est parfois bon pour la créativité, moins pour l'anxiété et la productivité. Du coup, j'ai développé toute une série de stratégies pour faire face à ce problème.

Tout d'abord, il y a mon journal intime. Je l'ai commencé en 1993, lorsque j'étais adolescent, avec quelques premières tentatives, quelques années auparavant lorsque j'étais encore enfant. Ce journal a pris des formes assez différentes, mais je n'ai jamais arrêté depuis. Par exemple, depuis 1996, j'écris sur mon ordinateur plutôt que sur papier. Depuis une vingtaine d'années au moins, je ne rédige plus vraiment mon journal de manière stricte. J'ai plutôt une approche bullet points. J'y décris mes journées chronologiquement, mais je note aussi en vrac tout ce qui me traverse la tête : mes rêves, mes idées, les discussions que j'ai eues, mes réflexions philosophiques, etc. Je réalise avec le recul que c'est une forme que j'ai adoptée probablement parce que le but a toujours été de me vider la tête plutôt que d'écrire au sens littéraire du terme. Le concept logiciel d'event log est une métaphore qui décrirait assez bien ma pratique.

Il y a les to-do lists, aussi. J'implémente Getting Things Done (GTD) depuis environ 20 ans, mais cela fait bien plus longtemps que j'essaye de capturer sous forme de listes les choses que j'ai envie de faire. Une trentaine d'années, je dirais. Je dois encore avoir des carnets dans lesquels j'écrivais des idées de projets de programmation. Cela doit dater du début de l'adolescence.

Il y a ce blog, que j'ai commencé en 2006. J'ai un peu plus de peine à écrire de manière publique. Il y a la peur du jugement, le fait qu'un article doit être plus travaillé, abouti pour pouvoir être publié, mais je pense que si je n'écris pas plus souvent sur mon blog, c'est aussi parce que j'ai tous ces autres moyens de vider ma tête, de manière privée.

En 2016, j'ai d'ailleurs expérimenté avec un site qui s'appelle 750 Words, conçu pour encourager la pratique de l'écriture spontanée et privée. Le but était de m'astreindre à une écriture régulière. Écrire sur n'importe quel sujet, en continu, jusqu'à atteindre une limite de 750 mots par session : j'ai trouvé cette expérience assez libératrice.

À la même époque, j'ai aussi commencé à faire régulièrement des enregistrements vocaux. Je l'ai fait moins assidûment. Le résultat était probablement moins satisfaisant : je me retrouvais avec un fichier audio au lieu d'un texte que je pouvais relire. Mais l'approche était toujours la même : faire en sorte que les idées dans ma tête soient fixées quelque part, à l'extérieur de ma tête. Et je sentais bien que le processus m'aidait, même si le produit final n'était pas quelque chose sur lequel j'allais m'attarder. Je ne réécoute jamais ces enregistrements. Je n'en ai ni le temps ni l'envie. Le but n'est pas là.

Comme je le mentionnais en introduction, cela fait longtemps que je remarque que lorsque je fais des randonnées en montagne, probablement aidé par une oxygénation supérieure de mon cerveau, j'ai beaucoup d'idées qui surgissent, et il est très fréquent que je m'arrête pour les noter ou les enregistrer, sur mon téléphone ou sur ma montre. Cela a encore été le cas hier, lors d'une randonnée entre Louvie et Mauvoisin. Etonnamment, je ne remarque pas ce phénomène en faisant de la course à pied, peut-être parce que l'effort, plus intense, empêche la réflexion. Ou parce qu'en général, je ne cours pas durant plusieurs heures, alors qu'il m'est déjà arrivé de faire des randonnées de 9 ou 10 heures. Il y a peut-être aussi un lien avec la montagne, qui est un environnement qui m'inspire plus. À creuser.

Une tactique plus médicalisée : en 2018, lorsque ma femme était enceinte, j'ai ressenti le besoin d'entamer une psychothérapie, essentiellement pour confronter mes problèmes d'anxiété et pour pouvoir aborder la paternité avec plus de sérénité. Cela aussi a été l'occasion de partager beaucoup de choses que je n'avais pas encore exprimées jusque-là. Le fait d'avoir un interlocuteur pour guider la discussion est de ce point de vue très bénéfique. Je n'ai pas réitéré cette démarche depuis.

La semaine passée, lors d'un voyage à Milan que j'ai effectué seul, j'ai profité des sept ou huit heures de route pour m'enregistrer. Au début, je le faisais uniquement lorsque j'avais envie de m'exprimer. Au bout d'un moment, j'ai juste laissé le téléphone m'enregistrer, me permettant de m'exprimer de manière moins structurée, probablement plus décousue, mais aussi plus spontanément. Je me suis retrouvé avec plusieurs heures d'enregistrements. À mon retour à la maison, j'ai transcrit tous ces enregistrements avec MacWhisper, puis demandé à ChatGPT et Claude de faire des résumés de tout ce que j'avais dit.

Je pense que c'est une expérience à réitérer. Le résultat est assez bluffant et cela permet de concilier le côté naturel, spontané de l'expression orale, avec le côté plus exploitable de l'écrit.

À cette occasion, j'ai pu remarquer que Claude donne de meilleurs résultats que ChatGPT, en tout cas à mon avis et avec les modèles actuels, alors que je pensais justement que ChatGPT était meilleur pour tout ce qui est langue naturelle et que Claude était meilleur pour tout ce qui est programmation. La réalité est que ChatGPT me donne des résumés un peu plus vagues et verbeux, avec de jolis emojis, mais que Claude est plus pertinent, va plus à l'essentiel.

Dans le même esprit, c'est la première fois que j'écris un article sur mon blog en grande partie en le dictant, puis en le corrigeant par la suite. Je trouve cette façon de faire un peu maladroite et déroutante, mais c'est peut-être juste une question d'habitude et c'est quelque chose que j'essaierai à nouveau à l'avenir. 

Je ne sais pas vraiment quelle conclusion donner à cet article. A vrai dire, je viens juste de commencer à prendre conscience que j'avais adopté toutes ces stratégies entre autres pour m'aider à faire le tri dans toutes les idées qui se bousculent dans mon esprit, le principe étant qu'une fois ces idées fixées, voire organisées quelque part, mon cerveau peut passer à autre chose, puis se concentrer sur ce que je juge essentiel. Il y a quelques pratiques que j'ai parfaitement intégrées (journal intime, GTD) et une pratique, celle des enregistrements vocaux, que je redécouvre depuis peu à la lumière de ce que l'intelligence artificielle permet désormais de faire, à savoir des transcriptions de plus en plus précises et des résumés de plus en plus pertinents.

Je vais voir ces prochains mois si l'habitude prend ou si l'enthousiasme que je ressens actuellement vient juste du côté nouveau de la chose. À suivre.