Comme beaucoup de gens, sans doute, il m'arrive régulièrement d'avoir des discussions assez mouvementées concernant des sujets qui me tiennent à cœur. Je me considère comme un sceptique, donc j'ai fréquemment l'occasion de dénoncer nombre de pseudo-sciences, telles que les médecines alternatives et complémentaires (homéopathie, acupuncture, etc.), l'astrologie, les effets de la lune sur la pousse des poils et bien d'autres inepties. Les légendes urbaines et autres théories du complot n'échappent pas cette habitude. En tant qu'athée, je pointe régulièrement du doigt les incohérences et les paradoxes inhérents aux croyances religieuses.
J'espère avoir l'occasion d'en parler plus en détail dans un futur article, mais j'ai également un certain nombre de "croyances" loin d'être partagées par tout le monde : existence d'une réalité matérielle et objective unique - position réaliste et matérialiste, sauf erreur -, absence de libre-arbitre, possibilité que l'être humain crée une intelligence égale puis supérieure à la sienne dans le siècle à venir, végétarisme, etc.
A plusieurs reprises, ces derniers temps, on m'a fait remarquer que la vérité se trouvait probablement "au milieu". Ou qu'il "fallait trouver un juste milieu". Je ne sais plus. Quelque chose de cet ordre-là. Plus récemment, on m'a fait remarquer qu'entre croyance et scepticisme, "il fallait un certain équilibre".
Que répondre à cela ?
Tout d'abord, que si on peut attribuer une certaine vertu à la modération, celle-ci souffre de nombreuses exceptions. Quel est le "juste équilibre" en matière de pédophilie ou de viol ? Quel est le "juste milieu" lorsque l'on parle de famine, de pauvreté ou de violence conjugale ? Le concept perd là tout son sens.
Ensuite, que cet "argument" (argumentum ad temperantiam) reflète surtout un manque d'imagination et ne signifie guère plus que celui qui l'utilise pense représenter, à tort ou à raison, cette position "intermédiaire", juste, entre deux extrêmes.
Je me demande, d'ailleurs, à quel point cette impression d'avoir une position "raisonnable", bien "équilibrée", est répandue au sein de la population. Il doit y avoir là un biais cognitif, mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Je vais me risquer à émettre une hypothèse : ce sentiment provient probablement du fait que toute position très différente de la nôtre paraît, a priori, extrême. (Voir, à ce sujet, l'article "The Myth of Militant Atheism".)
Pour ce qui est de mon scepticisme, il paraîtra excessif pour une grande partie de mes interlocuteurs, mais, de mon point de vue, je passe mon temps à accepter les choses sans les remettre en question (ou très peu, tout du moins). Par exemple, au volant de ma voiture, à un carrefour, je pourrais me demander systématiquement si le feu est bien vert, si je ne risque pas ma vie en ne m'arrêtant pas. Tout compte fait, le modèle que je me fais de la réalité n'est qu'une construction réalisée à partir de signaux électrochimiques envoyés à mon cerveau via mes nerfs optiques (et auditifs, olfactifs, etc.). Qu'est-ce qui me garantit que cette image n'est pas une simulation ? Un mirage ? Un rêve ? Un tour joué par un extra-terrestre ou un dieu doté d'un sens de l'humour incertain ? Rien. Je fais pourtant le pari, en permanence, que ce que mes yeux ou mes oreilles me rapportent du monde réel le représente à peu près fidèlement. Pour moi, c'est ma position qui semble correspondre au "juste milieu" en matière de croyance et de scepticisme.
En fin de compte, il n'y a que des positions plus ou moins défendables intellectuellement. Parfois, la position la plus juste (i.e. la plus défendable) se situe à ce que l'on perçoit comme un extrême. Parfois, elle se situe proche de ce que l'on identifie comme un centre situé entre deux extrêmes opposés. Toutefois, tout cela reste une construction mentale, limitée par nos connaissances et notre imagination.
Mise à jour (7 avril 2012). Cette "tyrannie de l'équilibre" est aussi dénoncée par Paul Grugman dans son article "The Centrist Cop-Out" à propos des Démocrates, des Républicains et du centrisme.
Mise à jour (17 avril 2012). Et encore un argument contre cette illusion du "juste milieu", donné, cette fois-ci, par Bill Maher : "Bill Maher on The Rally to Restore Sanity and/or Fear". (En passant, je peux aussi recommander son documentaire Religulous.)
Mise à jour (23 août 2012). Encore un exemple qui montre que le concept d'extrême (et, donc, de juste milieu) est erroné et mène facilement à une forme de malhonnêteté intellectuelle : "We’re Not on Opposite Sides of the Spectrum".
Mise à jour (16 août 2018). Je découvre avec plaisir aujourd'hui la BD "Je suis une vegan modérée." d'Insolente Veggie, qui exprime bien mieux que moi (un dessin, ça aide toujours !) l'idée que ça n'est pas le milieu qu'il faut viser, mais le juste. Il y a toujours plus extrême que la position qui nous déplaît et le "juste milieu" est donc rarement là on s'imagine qu'il se trouve.
Mise à jour (7 avril 2012). Cette "tyrannie de l'équilibre" est aussi dénoncée par Paul Grugman dans son article "The Centrist Cop-Out" à propos des Démocrates, des Républicains et du centrisme.
Mise à jour (17 avril 2012). Et encore un argument contre cette illusion du "juste milieu", donné, cette fois-ci, par Bill Maher : "Bill Maher on The Rally to Restore Sanity and/or Fear". (En passant, je peux aussi recommander son documentaire Religulous.)
Mise à jour (23 août 2012). Encore un exemple qui montre que le concept d'extrême (et, donc, de juste milieu) est erroné et mène facilement à une forme de malhonnêteté intellectuelle : "We’re Not on Opposite Sides of the Spectrum".
Mise à jour (16 août 2018). Je découvre avec plaisir aujourd'hui la BD "Je suis une vegan modérée." d'Insolente Veggie, qui exprime bien mieux que moi (un dessin, ça aide toujours !) l'idée que ça n'est pas le milieu qu'il faut viser, mais le juste. Il y a toujours plus extrême que la position qui nous déplaît et le "juste milieu" est donc rarement là on s'imagine qu'il se trouve.