Sunday, March 29, 2020

COVID-19 : le point après deux semaines de travail à domicile

Je m'étais juré de ne pas parler d'un sujet aussi évident, dont tout le monde parle, et trop, mais, en même temps, je ressens le besoin de le faire. Ecrire sur la situation actuelle a un effet cathartique.

En gros, la situation est surréaliste. Difficile de réaliser, de pleinement comprendre comment on en est arrivé là, petit à petit, mais finalement très, très vite. La grande majorité des magasins fermés. Les écoles fermées. Les gens confinés chez eux. Le travail a domicile. C'est une situation unique dans nos vies. Une sorte de mauvais rêve.

Assez vite, je me suis fais du souci, non pas pour moi, ma femme ou mon fils, mais pour mes parents, mes beaux-parents, mes oncles, mes tantes, les gens plus âgés que je connais. Et puis ensuite un peu pour tous les gens que je connais, il faut bien le dire.

Très vite, la problématique de la garde de notre fils, qui a bientôt deux ans, s'est posée. En temps normal, il est gardé un jour par mes parents, un jour par ma femme, un jour par moi et deux jours par la crèche. Sans grands-parents et sans crèche, ma femme et moi travaillant tous les deux, même à temps partiel (80%), l'équation est insoluble, à moins de sacrifier jours de congé et temps libre, ce qui n'est certainement pas la solution si nous voulons tenir plusieurs semaines ou mois ainsi. Le calcul est vite fait :  si ma femme et moi voulons garder notre fils, il nous faut passer de 80% à 50% de taux d'activité professionnelle, donc sacrifier un jour et demi de travail par semaine chacun. Mon employeur ayant officiellement déclaré que les enfants et les proches sont une "priorité absolue" et qu'il se montrera "flexible", je n'ai en principe pas trop à m'en faire, mais je suis plutôt du style à me mettre la pression.

Du coup, je ris doucement, et un peu jaune, lorsque je vois certaines personnes se demander dans des forums ce qu'ils vont faire avec tout ce temps gagné en n'ayant pas besoin d'aller au travail. C'est vrai que je gagne trois heures par semaine en restant chez moi, mais la situation en exige encore bien plus de moi. Résultat : j'ai au final moins de temps à disposition. Ou c'est tout du moins l'impression que j'ai.

Côté couple, il y a clairement une charge psychologique supplémentaire. Le fait d'être tout le temps ou presque ensemble, du moins dans le même appartement, n'est pas trop problématique. Nous en avons l'habitude. C'est plus le fait de devoir garder notre fils et avancer malgré tout dans notre travail qui est une grosse source de stress. Du coup, il est très important de bien communiquer, de détecter les mauvaises humeurs avant qu'elles ne se déclarent complètement, etc. Je crois que nous gérons cela plus ou moins bien pour l'instant.

Pour ce qui est de mon activité professionnelle, l'adaptation au travail à distance s'est faite facilement pour moi : je suis développeur ; je pratique déjà le travail à distance de temps à autres, depuis des années. Pour mes collègues non-développeurs, il a fallu penser à de nouvelles tâches (difficile de numériser des bandes magnétiques à distance, par exemple) ou réfléchir à des moyens d'accéder plus facilement à des fichiers audiovisuels parfois très lourds (transcodage des fichiers plus tôt dans les processus, etc.). Nous avions anticipé le travail à distance plusieurs semaines avant. La transition s'est faite assez facilement.

Pour mon épouse, enseignante, les choses se font faites de manière plus chaotique. Pas parce que les outils, les moyens ou les motivations ne sont pas là, mais plus à cause d'une certaine incompétence des politiques. C'est du moins comme cela que je résumerais les choses de mon point de vue.

En dehors de la garde de mon fils, il y a un autre phénomène qui entame ma productivité : l'anxiété ambiante. Difficile de continuer à travailler comme si de rien n'était, avec l'actualité, les annonces des gouvernements, etc. J'ai heureusement la chance d'avoir un employeur compréhensif. Je ne sais pas si tout le monde a la même chance.

De manière générale, d'ailleurs, les informations qui circulent, via les médias traditionnels, mais aussi sur les réseaux sociaux ou les messageries instantanées, sont de qualité très variable. Il faut faire le tri, tenter de garder son esprit critique. Pas toujours facile...

Cela est évident et je l'ai déjà dit : la situation actuelle est très anxiogène. Pour tout le monde, mais surtout pour les gens déjà anxieux à la base, comme moi. Alors c'est l'occasion de se forcer à méditer vraiment régulièrement, alors que j'aurais peut-être envie de faire autre chose (c'est souvent dans les situations où j'en ai le plus besoin que je médite le moins, je l'ai déjà remarqué). C'est aussi un prétexte pour appliquer un peu plus la philosophie des stoïciens (la dichotomie du contrôle, la visualisation négative, etc.). J'ai aussi plus que jamais besoin de mon système d'organisation (GTD), de mes rituels, etc. Ce sont des repères vraiment importants.

J'essaie de relativiser, aussi. Je sais que nous avons de la chance, que nous sommes privilégiés. Ma femme et moi avons tous les deux un travail. Nous ne risquons pas de le perdre à cause de la situation actuelle. Nous avons des finances saines. Nous pouvons travailler à distance. Personne n'est encore malade dans notre entourage. Nous avons un appartement qui n'est pas gigantesque, mais qui n'est pas minuscule non plus. Nous pouvons nous isoler si nécessaire. Nous habitons à la campagne. Nous pouvons rapidement nous retrouver dans la nature. Bref, nous ne sommes clairement pas à plaindre.

Tout cela ne fait d'ailleurs que mettre en évidence une inégalité (de plus ?) dans la société. Il y a des gens qui peuvent rester tranquillement chez eux, continuer à travailler, sans trop de soucis, se faire livrer leurs courses à domicile, pendant que les autres perdent leur emploi, ont des problèmes financiers, doivent continuer à travailler dans des conditions forcément plus difficiles (poste, livreurs, etc.) ou carrément cauchemardesques (personnel soignant, etc.).

On peut se poser la question des effets positifs de cette pandémie, en particulier sur le monde du travail. Certaines entreprises ont été forcées de proposer le télétravail à leurs employés, à clarifier et optimiser du coup leurs processus et leur communication, etc. Plein de gens ont découvert de nouveaux outils. C'est une bonne chose. J'aimerais croire que cela aura des effets sur le long terme, mais je peine à être complètement optimiste.

Je pense qu'il y a des gens qui sont faits pour le télétravail et d'autres, non. Je pense faire partie des gens qui s'en sortent plutôt pas mal. Je suis un introverti. Je n'aime pas être dérangé. Je pense être organisé et avoir suffisamment d'auto-discipline. Mais pour beaucoup de gens, ça va être un calvaire, j'en suis certain. Les extravertis ont besoin de contacts. Ils s'en nourrissent. Je tombe peut-être dans la caricature, mais je pense que ça joue un grand rôle. Les managers incompétents qui se sentent obligés d'avoir les membres de leur équipe sous leurs yeux toute la journée ne vont pas soudainement devenir compétents en étant chez eux. Tous les processus temporaires mis en place pour continuer à travailler avec des gens chez eux seront, dans bien des cas, je le crains, plus du bricolage temporaire que des solutions adaptées au long terme. J'espère me tromper, mais je pense que pour beaucoup de gens, on assistera à un grand phénomène de "plus jamais ça".

Plus que ce que la situation actuelle met en évidence, n'oublions pas que, même en principe, le télétravail a des défauts inhérents. En télétravail, il y a une absence de sérendipité : les petites discussions dans le couloir ou autour de la machine à café qui débouchent sur de nouvelles idées ne sont pas un mythe. Cela arrive réellement. Alors, oui, Slack et autres permettent aussi les "petites discussions", mais je suis certain que ça n'est pas exactement pareil.

Autre problème : les Skype, Zoom, Hangout et autres, après toutes ces années, restent globalement assez médiocres du point de vue de la qualité audio et vidéo. Les micros des laptops sont meilleurs qu'il y a 5-10 ans, mais restent assez mauvais dans l'absolu. J'ai toujours un peu de peine à suivre une discussion vidéo. Il y a les délais, les gens qui parlent en même temps. On n'entend pas tout. On ne remarque pas les nuances subtiles du langage corporel. Ça reste une expérience assez frustrante. Et je ne parle même pas du bête tableau blanc qu'on prend en photo avec son smartphone en fin de meeting, qui reste bien plus intuitif à utiliser que les outils en ligne.

Bref, si on m'avait posé la question il y a 10-15 ans, j'aurais été hyper-enthousiaste concernant le travail à distance. Je le suis toujours dans une certaine mesure, mais tout en reconnaissant que les outils sont encore bien lacunaires et en admettant que le fait de se rencontrer physiquement et régulièrement a des avantages. Le travail, c'est aussi le contact social. Après, je déteste toujours autant être interrompu lorsque je suis concentré, les meetings inutiles avec trop de personnes, etc. Il y a donc du bon et du mauvais dans les deux situations (travail dans un bureau avec d'autres collègues et travail à distance).

Et une autre évidence : la plupart des gens (je n'ai pas réussi à trouver de chiffres) ne peuvent tout simplement pas travailler à distance.

Mais revenons à la situation actuelle. Quels seront les effets positifs ? Se pourrait-il que certaines personnes se rendent compte de l'importance de l'Etat, des excès d'un certain libéralisme, que la croissance à tout prix n'a pas beaucoup de sens ? On peut toujours rêver...

De manière plus certaine, il y a la baisse du trafic aérien (il suffit de lever le nez et de regarder le ciel), une baisse de la circulation sur les routes et, donc, de la pollution et du bruit. Tout cela est agréable, mais temporaire. Et à quel prix ! On peut en profiter, mais certainement pas s'en réjouir.

Enfin, on peut aussi rêver à un meilleur système de santé, où les informations ne transitent pas par fax (j'exagère à peine, malheureusement), où le matériel et les lits ne manquent pas, mais je prédis que, dans quelques temps, la population aura presque oublié tout cela et exigera à nouveau des primes d'assurance maladie plus basses (un classique, en Suisse).

Pour ce qui est des effets négatifs, l'économie souffre, évidemment. Les gens perdent leurs emplois. Les entreprises font faillite. La violence conjugale augmente. Les animaux sont abandonnés. Les festivals annulent leurs éditions (l'absence de Cully Jazz cette année m'attriste tout particulièrement). Et j'en passe... Tout cela ne va pas améliorer la situation de nos retraites. Bref, plus qu'une abstraction collective, ce sont des gens bien concrets qui souffrent et vont souffrir. Malgré mon pessimisme (j'en suis bien conscient), j'espère que cela ne sera pas vain, qu'il y aura réellement du positif dans tout cela.

Pour revenir à quelque chose de plus personnel, ces deux premières semaines de confinement relatif et de travail à la maison ont été un peu stressante, mais il y a eu un certain rapprochement entre les gens. Plus de messages sur WhatsApp, plus d'apéritifs à distance, etc. On a le sentiment que les gens ont besoin de communiquer sur cette expérience exceptionnelle qui isole, mais qui est en même temps partagée par des milliards de personnes. Qu'en sera-t-il dans quelques semaines ? Je ne sais pas. Il s'agit peut-être juste d'un engouement initial. On verra.

Je me suis surpris à aller un peu plus sur les réseaux sociaux, Facebook en particulier. Là, rien de bien nouveau : c'est un lieu rempli de choses amusantes/divertissantes, mais aussi de toutes sortes de bêtises, de réactions anxiogènes, de fausses informations, etc.

Nous avons l'habitude depuis des années de nous faire livrer nos courses à domicile, chaque semaine, via LeShop. Leur service a été complètement débordé. Au moment où j'écris ces lignes, il y a un délai de trois semaines pour être livré. C'est frustrant, mais pas étonnant. 

Du coup, nous avons été obligés de faire quelques courses supplémentaires dans des magasins physiques. C'est une expérience que je déteste en temps normal, mais, là, c'est devenu encore plus pénible. Il y a quelques jours, dans un grand supermarché de la région lausannoise, pourtant en pleine journée de semaine, je me suis retrouvé parmi une foule à mon avis trop nombreuse. Certaines personnes faisaient bien attention à garder leur distance. D'autres, non. Il y avait des gens seuls, mais aussi beaucoup trop de gens en couple (incompréhensible) et des familles avec des enfants (encore plus incompréhensible). Certains rayons étaient plus entamés que d'autres. Côté papier toilette, on prend ce qui reste. Il n'y a plus beaucoup de choix. Je ne veux pas dénoncer, mais j'ai aussi vu le boucher en train de se mettre les doigts à la bouche pour séparer les feuilles plastifiées utilisées pour emballer la marchandise (je n'invente rien !). Récemment, un anthropologue expliquait que les supermarchés sont maintenant devenus "un des seuls lieux où on peut nouer des interactions sociales, où on peut sortir de chez soi". Je ne sais pas sur quel planète il habite, mais ça ne correspond en tout cas pas à ce que j'ai vu. L'ambiance dans le supermarché où j'étais était plutôt pesante et je ne pense pas que ce soit uniquement une projection de mon état d'esprit.

Côté activités, j'ai fait moins de sport (il faudra que je fasse un effort) et écouté moins de podcasts (normal, sans les trajets jusqu'au travail). Les brunches et les promenades-goûters me manquent un peu. Nous avons dû annuler un week-end à Bâle au mois d'avril. Pour l'instant, nous l'avons déplacé au mois de septembre.

Les musées, festivals, orchestres, opéras, etc. profitent de l'occasion pour proposer une offre en ligne, souvent gratuite. Mais ça n'est pas pareil. J'aime bien les musées, mais j'aime surtout les visiter, physiquement. Sentir l'espace autour de moi. Pouvoir regarder un tableau sous différents angles. Voir un concert ou un opéra en vrai (je comptais d'ailleurs aller voir "Candide" à Lausanne), à nouveau, ça n'est pas pareil. La tentation d'appuyer sur "pause" pour aller faire autre chose n'est tout simplement plus là.

Je vais m'arrêter là. Cet article est un peu parti dans tous les sens et est déjà beaucoup trop long. Comme dit, le but était de vider un peu mon sac, de tenter de donner un peu de sens à tout cela. Je suis curieux de voir comment ces prochaines semaines vont se passer.

Mise à jour (8 avril 2020). J'écrivais que je n'avais pas trouvé de chiffres concernant le nombre de personnes qui peuvent travailler depuis chez elles. Un papier qui vient d'être publié ("How Many Jobs Can be Done at Home?")  mentionne le chiffre de 37% pour les Etats-Unis. En Suisse, je parierais sur le fait que ce taux est plus élevé, mais, comme suspecté, la majorité des gens ne peuvent pas travailler depuis la maison.

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