Saturday, January 18, 2020

Le streaming va-t-il tuer la musique ?

J'ai définitivement cessé d'acheter de la musique sur support physique en 2012. Malgré tous les efforts de l'industrie du disque, il n'a jamais été aussi facile de pirater la musique, mais je tiens tout de même à encourager les artistes que j'apprécie en achetant leur musique. Je le fais en achetant des fichiers lossless sur des plateformes telles que Qobuz, HDtracks ou CD Baby.

Les services de streaming, bien que beaucoup plus simples que la gestion d'une collection personnelle, ne m'ont jamais particulièrement attiré, pour plusieurs raisons. D'abord, les catalogues de ces services sont encore largement incomplets (artistes ou labels manquants, etc.) et, évidemment, s'en tiennent à des enregistrements officiels. Pour tout ce qui est bootlegs, il faut de toute façon passer par d'autres canaux.

Un autre défaut de ces services est qu'ils contiennent souvent des versions incorrectes de certains morceaux. Je n'en ai pas fait l'expérience personnellement, mais je lis régulièrement dans des forums que tel ou tel morceau sur tel ou tel album n'est pas la version "album", mais une version "edit" ou provenant d'un single ou d'une compilation, par exemple. Pour la plupart des gens, cela passera inaperçu. Pour quelqu'un de sérieux à propos de la musique, c'est parfaitement inacceptable. Il est de plus très difficile de remonter ce genre d'erreurs et lorsqu'elles sont communiquées au service de streaming, il est rare qu'elles soient corrigées, tout du moins dans un temps acceptable.

Un autre cas non supporté par les services de streaming : les éditions multiples d'albums. A nouveau, j'imagine que c'est un cas relativement pointu, mais je peux lister de nombreux exemples où je sais que différentes versions d'un album contiennent une version différente d'un morceau ou un mix particulier. Par exemple, pour Bitches Brew de Miles Davis, les premières éditions en CD contenaient un très mauvais mix. Il y a eu un remix réalisé en 1997, avec certaines imperfections. Un remaster réalisé à partir du mix originel a été réalisé plus tard, sorti d'abord au Japon, si je me souviens bien. Pour les albums Agharta et Pangaea, il existe en tout cas 2-3 versions de chaque album avec des durées et des mixes/effets différents. En tant que fan/collectionneur, je me dois d'avoir ces différentes versions et il m'arrive réellement d'en écouter l'une ou l'autre selon l'envie du moment.

Pire encore : les éditions streamées ne sont désormais plus exactement identiques aux versions des supports physiques. C'est quelque chose que j'ai découvert en achetant le dernier album de Keith Jarrett, Munich 2016, l'année passée, sur Qobuz. Je racontais sur un groupe de discussion consacré à Keith Jarrett que le choix de supprimer les applaudissements à la fin de chaque morceau sur cet enregistrement live était un choix intéressant : cela amplifiait pour moi le sentiment de solitude de l'artiste, jouant live, mais comme sans public. En effet, Keith Jarrett s'est retiré de la vie publique suite à des problèmes de santé et n'a plus joué le moindre concert depuis février 2017. Je trouvais que c'était un choix artistique judicieux. Quelqu'un m'a toutefois rapidement fait remarquer que, sur le CD qu'il avait acheté, il y avait des applaudissements. Etrange : les fichiers FLAC que j'achetais sur Qobuz ont pourtant toujours été identiques au CD.

Renseignements pris auprès de Qobuz, puis de la maison de disque ECM, j'ai appris que les services de streaming imposent désormais aux labels de supprimer les applaudissements de leurs albums live pour permettre aux morceaux de se retrouver dans des playlists automatiques. Les plateformes comme Qobuz ne faisant aucune distinction entre les versions streamées et téléchargées des albums, les labels ne fournissent donc plus qu'une version tronquée/incomplète des morceaux aux plateformes de streaming/téléchargement. Il n'y a plus qu'un seul moyen d'obtenir la version numérique complète d'un album live : acheter le CD. On croit rêver. C'est la mort dans l'âme qu'ECM a accepté de se plier à cette règle complètement absurde portant atteinte à l'intégrité artistique de certains albums. Pour des raisons financières, évidemment. ECM est un petit label. Ils n'ont pas beaucoup de marge de manoeuvre. Pour ce cas bien précis, l'employé d'ECM avec qui j'étais en contact m'a spontanément proposé de me mettre à disposition des fichiers FLAC complets, mais il n'y a désormais plus aucun moyen d'acheter ces fichiers FLAC en ligne, de manière légale.

Bref, pour toutes ces raisons, je n'ai pas beaucoup d'admiration pour les plateformes de streaming (c'est bien entendu une litote, j'essaie de rester poli...). Et n'oublions pas que, pour ne rien arranger, les musiciens sont très peu payés pour leur musique lorsqu'elle est streamée sur ces plateformes.

Pourtant, le streaming, d'un point de vue technique, c'est idéal. D'ailleurs, je streamais déjà ma musique avec Squeezebox / Logitech Media Server en 2005, alors que Spotify n'existait pas encore. J'utilise désormais Plex, mais le principe est le même : je streame ma musique, mais depuis ma collection personnelle, que je maîtrise complètement. Alors, oui, c'est plus de travail et tout ce temps que j'ai passé, depuis 2000-2001, à ripper mes CDs, compresser mes fichiers au format FLAC, tagger ma collection, etc. me semble maintenant un peu fou, mais, lorsque je vois ce qui est en train d'arriver, je ne suis pas mécontent d'avoir un peu le contrôle sur tout cela.

Et, non, selon la loi des titres de Betteridge, le streaming ne va pas tuer la musique. Je suis bien conscient que je fais partie d'une minorité de personnes qui prennent très au sérieux la musique qu'ils écoutent. Pour la plupart des gens, le streaming permet un accès facilité à une quantité phénoménale d'artistes. Au détriment d'une certaine rigueur, malheureusement, mais c'est un compromis.

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