Saturday, November 24, 2018

Retraite Vipassana : après

Le texte qui suit est un compte-rendu de mon cours Vipassana de dix jours au centre du Mont-Soleil, qui a eu lieu du 22 août (jour 0) au 2 septembre 2018 (jour 11). J'avais déjà écrit à propos de mes attentes au mois d'août.

Résumé (tl;dr)

Je résume (très grossièrement, j'en suis conscient) : Vipassana est, entre autres, une technique de méditation de type body scan. Il existe une centaine de centres de formation à travers le monde dont le but est d'enseigner cette technique (selon l'enseignement de S. N. Goenka, décédé en 2013). Ces stages intensifs gratuits sont difficiles. Très difficiles.

Le centre

Le seul centre Vipassana de Suisse est situé au Mont-Soleil, au-dessus de St-Imier, dans le Jura. Il est nommé Dhamma Sumeru et existe depuis 1999. Le bâtiment était auparavant une colonie de vacances pour enfants. La salle de méditation, construite à l'extérieur du bâtiment, à l'arrière, est plus récente. Selon Le Temps, c'est le plus petit centre parmi les 187 qui existent à travers le monde (dont 83 en Inde).

Je n'avais jamais visité la région. La veille du début du cours (le "jour 0") et le lendemain du dernier jour de cours complet (le "jour 11"), j'ai visité les environs du centre. Il y a des vaches, des éoliennes, mais aussi une centrale solaire, ouverte en 1992, la plus grande d'Europe à l'époque. L'endroit est calme, bucolique, mais je n'en ai pas du tout profité durant le cours, durant lequel nous n'avions accès qu'à une petite zone devant le centre, durant les pauses.

Jour 0

La veille du premier jour de cours, donc, je suis arrivé au centre vers 15h00 et ai procédé à mon inscription. Il y avait un questionnaire à remplir, avec des questions plus ou moins normales, mais aussi des questions liées à la santé (physique et mentale) et à mes habitudes par rapport aux drogues (y compris l'alcool). Un peu étrange, mais je me suis prêté au jeu.

Je suis ensuite allé m'installer dans ma chambre. J'y ai croisé deux de mes camarades de chambre. Etant arrivé assez tôt au centre, je suis ensuite allé faire une petite promenade.

A 18h00, il y a eu un repas. Je me suis installé à une table, à côté de quelqu'un (Julien). Il n'était pas encore très clair dans ma tête si le silence était déjà de mise ou non. Je n'ai donc pas parlé. En fait, personne autour de nous ne parlait. Puis Fred et Nicolas sont arrivés et se sont installés à notre table. Fred, un "ancien" ayant déjà fait plusieurs cours, nous a confirmé que nous avions encore le droit de parler. Nous nous sommes donc présentés. Julien, comme moi, est suisse. Fred et Nicolas sont français. Nicolas venait de Paris rien que pour ce cours. J'ai appris plus tard qu'il n'était pas le seul à avoir fait un assez long voyage jusqu'au centre. Nous avons partagé nos attentes, nos craintes, etc. J'ai beaucoup apprécié cette discussion, qui a tout de suite rendu plus humaine l'expérience que j'étais en train de débuter.

A 19h00, il y a eu une réunion d'information dans le réfectoire, assez bon enfant. Puis la période de silence a commencé et, à 20h00, nous avons eu notre première session de méditation, dans la salle de méditation de groupe. A 21h, il était possible de poser des questions à l'enseignante, comme tous les soirs qui allaient suivre, ou alors d'aller se coucher, option pour laquelle j'ai opté.

Le réfectoire

Le mobilier de la pièce est assez vieillot. Depuis le jour 1 jusqu'à la matinée du jour 10, cette pièce a été coupée en deux par une cloison : les femmes d'un côté, les hommes de l'autre. La majorité des places sont installées face aux fenêtres. Au début, cela fait bizarre d'être assis à côté de personnes sans pouvoir ni leur parler ni les regarder, puis on s'y habitue. Cela en devient presque libérateur. Pas besoin de trouver un sujet de conversation. On peut se concentrer sur la nourriture. On nous avait promis une cuisine "végétarienne simple". C'est ce que nous avons eu. C'était tout à fait correct. Rien de gastronomique. On est très loin des meilleurs restaurants végans de Berlin ou New York que j'ai fréquentés ces dernières années, mais j'ai entendu plusieurs échos positifs de personnes non-végétariennes (qui s'attendaient à pire, apparemment). Le petit-déjeuner (6h30) et la collation (17h) étaient identiques de jour en jour. Seul le déjeuner (11h) changeait. Il y avait du lait de vache, mais aussi du lait de soja. C'est plutôt rare. Je me suis senti un peu comme à la maison...

Les chambres

J'espérais vaguement avoir une chambre individuelle, mais ce privilège est réservé aux étudiants les plus âgés, si je comprends bien. J'étais donc dans une chambre avec trois autres personnes (Karim, Marius et Thomas). Nous avons pu brièvement nous présenter le jour 0, avant la période de silence, puis discuter après la fin de cette période, le jour 10. Les chambres étaient simples, mais confortables. J'avais apporté mon oreiller, ainsi que des bouchons pour les oreilles et un masque pour les yeux, qui ont parfaitement joué leur rôle. J'ai mal dormi la première nuit, puis bien mieux toutes les autres nuits, à l'exception du soir du jour 9. La personne la plus proche de moi (Thomas) avait les mêmes horaires que moi : nous dormions peu après 21h et nous levions aux premiers coups de gong à 4h (à l'exception de deux fois où je n'ai pas entendu le gong et me suis levé une vingtaine de minutes plus tard). Nos deux autres compagnons de chambre avaient beaucoup plus de peine à se lever le matin (et à dormir le soir, apparemment).

La salle de méditation

Comme dans le réfectoire, les hommes sont assis d'un côté et les femmes, de l'autre, mais la salle n'est pas coupée en deux par une cloison, cette fois-ci. Les places sont assignées le soir du jour 0. Il n'est plus possible de la changer par la suite. J'avais la place la plus proche de la sortie, tout à l'arrière de la salle : une place pratique pour sortir (toilettes, pauses, fin de la session de méditation), mais aussi exposée à tous les passages et aux courants d'air. C'était aussi un endroit privilégié pour avoir une vue d'ensemble sur la salle et, donc, sur les gens ; je ne me suis pas privé d'observer mes camarades étudiants !

Au début, je trouvais assez intéressant de méditer en groupe, comme cela faisait cinq ans que je méditais seul. Par moments, il m'était possible de ressentir une sorte de "force" émanant du groupe, une sorte de concentration commune encourageante. À l'inverse, à d'autres moments (la plupart du temps, en fait), les distractions semblaient s'amplifier les unes les autres : soupirs, raclements de gorge, éternuements, personnes qui bougent, qui quittent la salle, bruits de digestion, etc.

Plusieurs fois durant les dix jours de cours, nous étions appelés auprès de l'enseignante, par groupes. Le but était de vérifier que nous comprenions bien les instructions et que nous faisions des progrès au fil du temps. Durant ces moments, nous nous asseyions aux pieds de l'enseignante, qui est assise à une certaine hauteur au-dessus du sol. Cette disposition est particulière. Je comprends qu'on exige un certain respect de l'enseignant, mais ce côté traditionnel (voire culte) m'a déplu.

Le chemin de promenade

Durant les trois pauses journalières après les repas, ainsi qu'à chaque petite pause de quelques minutes entre deux sessions de méditation, nous avions l'occasion d'aller nous promener dehors : les hommes, devant le bâtiment et les femmes, derrière. Le sentier accessible aux hommes fait une boucle d'environ 150 mètres, dont une partie dans la forêt. L'une des parties les plus agréables de ce sentier se situe dans la forêt, justement. Des marches ont été construites dans la pente. C'est particulièrement réussi. J'ai l'impression que beaucoup de mes camarades, comme moi, avaient une préférence pour cette partie du sentier.

La promenade était l'occasion de nous changer les idées, mais il faut bien admettre que c'était une activité très répétitive, le sentier le plus long (l'extérieur de la boucle) pouvant être parcouru en quelques petites minutes. Alors, au bout de quelques fois, on ralentit le pas ; on se met à observer chaque détail, chaque arbre, chaque plante, chaque caillou, parfois par intérêt sincère, d'autres fois suite à un effort un peu plus conscient pour prendre son temps, ralentir son rythme.

Côté animaux, il y avait un ou deux écureuils, un nid de guêpe dans le sol, quelques rares chats, des limaces et des escargots par temps de pluie et, étonnamment, très peu d'oiseaux. Ça n'est donc pas de ce côté-là que nous trouvions du divertissement.

Parfois, malgré notre isolement relatif, nous entendions des bruits du "monde extérieur". Lorsque le vent soufflait plus fort, les éoliennes faisaient un bruit d'avion de ligne volant un peu bas. Je compatis désormais un peu plus avec les gens qui s'opposent à ce genre de projets. Un chien, peut-être un peu abandonné par ses propriétaires, se faisait régulièrement entendre. Côté véhicules motorisés, notre quartier était plutôt calme, mais on en entendait tout de même de temps en temps. Quelques entraînements de tennis changeaient soudainement l'ambiance. Nous arrivions à comprendre certaines discussions entre l'entraîneur et les enfants. Des cris déchirants s'échappaient parfois d'un établissement médico-social voisin, généralement très silencieux. Triste. Enfin, un jour, nous avons eu droit à un ballet d'avions de voltige. Tout cela peut sembler beaucoup, mais, en réalité, l'endroit où nous étions était en général très calme. Beaucoup plus calme que la plupart des endroits que j'ai l'habitude de fréquenter.

Dans la pratique, comme nous nous étions engagés à ne pas communiquer entre nous d'aucune manière que ce soit, y compris visuellement, nous devions donc éviter le regard des autres étudiants. Pas évident, sur un sentier, lorsqu'on croise quelqu'un. Au début, la démarche semble bizarre, puis l'on s'habitue.

Au fur et à mesure que les jours passaient, des petits monuments apparaissent le long du chemin : une sorte de petite tombe dédiée à une pomme de pin (à l'origine construite par Thomas, si je me souviens bien), des petits totems faits de branches et de feuilles, etc. Il s'agissait parfois d'oeuvres collaboratives, j'imagine. Je suis resté spectateur de ces petites oeuvres amusantes.

Le centre Dhamma Sumeru
Le périmètre du cours (et donc de la promenade) était délimité par une petite cordelette avec un message en français et en anglais nous demandant de "rester dans les limites du cours". C'est là qu'on voit le côté un peu fou de notre démarche : cette cordelette aurait été facile à enjamber ; personne ne nous aurait empêché de le faire ; mais personne ne l'a fait. Entre les arbres, je pouvais entrevoir ma voiture sur le petit parking du centre. Je me suis souvent imaginé aller jusqu'à elle, "juste pour voir". Je ne l'ai évidemment jamais fait. Si je n'ai jamais vraiment voulu quitter le cours, j'aurais souvent voulu être ailleurs. Juste pour un instant.

L'organisation du cours et d'une journée typique

Les 10 jours de cours suivent un horaire très strict et qui ne varie quasiment pas :
  • 4h00 : réveil (gong)
  • 4h30-6:30 : méditation (dans la salle ou la chambre)
  • 6h30-8:00 : petit-déjeuner et repos
  • 8h00-9:00 : méditation dans la salle (obligatoirement)
  • 9h00-11:00 : méditation dans la salle ou dans la chambre selon les instructions de l'enseignant
  • 11h00-12:00 : déjeuner
  • 12h00-13:00 : entretiens individuels avec l'enseignant (facultatif) ou repos
  • 13h00-14:30 : méditation (dans la salle ou la chambre)
  • 14h30-15:30 : méditation dans la salle (obligatoirement)
  • 15h30-17:00 : méditation dans la salle ou dans la chambre selon les instructions de l'enseignant
  • 17h00-18:00 : collation/goûter
  • 18h00-19:00 : méditation dans la salle (obligatoirement)
  • 19h00-20:15 : discours de S. N. Goenka
  • 20h15-21:00 : méditation dans la salle (obligatoirement)
  • 21h00 : questions à l'enseignant (facultatif) ou coucher
L'après-midi du jour 0 est consacré aux inscriptions (entre 14h00 et 17h00), puis à la première méditation (vers 20h00).

Le jour 11, quant à lui, est consacré à la dernière méditation (à 4h30), à un dernier discours de S. N. Goenka, au rangement des chambres, au petit-déjeuner (à 7h00), puis au rangement du centre.

Durant le jour 4, la technique Vipassana à proprement parler est présentée et l'horaire de l'après-midi est légèrement différent.

Le jour 10 (levée du silence) est officiellement un jour moins sérieux, avec moins de méditation.

En tout, on parle quand même de 10 heures et demie de méditation planifiées par jour. Disons 9 heures et demie effectives en comptant les déplacements, les pauses, etc. Soit presque 100 heures en tout durant tout le cours. Plus de 90 heures de manière certaine. C'est beaucoup. C'est en général le temps que je consacre à la méditation sur une année et demie !

On parle donc bien d'un stage intensif de méditation.

La technique de méditation

Les trois premiers jours de cours ont été consacrés à une technique basée sur la respiration (ānāpānasati). Le jour 1, il s'agissait de se concentrer sur la respiration au niveau du nez en général. Le jour 2, si je me souviens bien, la zone a été réduite légèrement, puis le jour 3 a été consacré entièrement à une région encore plus petite, une sorte de triangle entre la lèvre supérieure et les narines (la "zone de la moustache"). Imaginez-vous en train de vous concentrer sur quelques centimètres carrés de peau durant neuf à dix heures !

Durant les 6 jours suivants (jours 4 à 9), c'est la technique de méditation Vipassana à proprement parler qui a été enseignée. Sans entrer dans les détails, il s'agit de se concentrer sur les sensations ressenties à la surface du corps, de la tête aux pieds, puis des pieds à la tête, de manière répétée. Selon les sensations ressenties (aucune, sensations subtiles, sensations grossières), différentes manières de parcourir le corps sont proposées.

Dès le jour 4, nous nous sommes engagés à ne pas bouger (ou presque) durant les trois sessions de méditation de groupe de la journée. Le but n'était pas de nous torturer, mais d'essayer autant que faire se peut de ne pas changer de position (i.e. de ne pas bouger les jambes et les bras). Cela signifiait donc aussi ne pas sortir de la pièce (p. ex. pour aller aux toilettes). J'ai trouvé l'exercice intéressant. Cette exigence changeait forcément la manière d'aborder l'exercice. Elle lui donnait un sérieux que nous n'avions pas lorsque nous pouvions bouger (plus ou moins) librement et même quitter la pièce pour une raison ou une autre.

A plusieurs reprises durant les derniers jours, j'ai atteint un état que je n'avais encore jamais connu durant mes cinq premières années de méditation. Il s'agissait d'un état agréable, une sensation "électrique", comme si le corps se "dissolvait". Il est difficile de mettre des mots sur cette expérience, mais c'est quelque chose de très singulier. C'est un état que je n'ai pas réussi à atteindre à nouveau depuis (en tout cas pas de manière aussi intense).

De manière générale, les instructions données tout au long du cours ont été très répétitives. S. N. Goenka parle (parlait) de manière très lente, monotone, ennuyeuse. Ennuyeuse. Monotone. Très ennuyeuse. Et répétitive. Très répétitive. (Je n'arriverai jamais à transcrire fidèlement cet ennui par écrit, je crois, mais l'idée est là.)

La douleur

Dans la salle de méditation, nous avions chacun une place sur un matelas de méditation, assis par terre. De petits coussins étaient à notre disposition, pour notre confort, mais j'ai tout de suite eu mal un peu partout (dos, jambes, etc.). J'ai essayé toutes les positions (y compris agenouillé). Je me suis finalement retrouvé assis sur une pile de 9-10 coussins, une sorte de tabouret improvisé, les jambes tenues par mes mains. C'était une position un peu ridicule et toujours inconfortable, mais malgré tout la moins pire de toutes celle que j'ai essayées.

Le jour 3, j'ai demandé au manager du cours un tabouret de méditation, les douleurs devenant vraiment intenses. Il m'a demandé d'en discuter avec l'enseignante, exceptionnellement en dehors des heures prévues pour cela. (Et, oui, nous avions le droit de communiquer avec les personnes organisant le cours, si nécessaire. Je l'ai toujours fait en chuchotant et uniquement concernant ce problème de douleur.) L'enseignante m'a dit qu'à moins d'une blessure, la douleur était normale et m'a invité à essayer encore un jour sans aide. Après le jour 4, j'ai finalement fait avec ma douleur, qui s'est stabilisée.

Pas mal de gens (10-15% ?) avaient des chaises (pour les plus âgés), des "dossiers bas" (des chaises sans pieds - je ne sais pas comment cela s'appelle), des coussins de méditation plus volumineux ou des bancs de méditation. Il était donc tout à fait possible d'obtenir une aide, en cas de problème médical ou de douleur trop importante.

Une certaine douleur, un certain inconfort était toutefois attendu et faisait partie de l'expérience. D'un côté, je comprends l'idée. D'un autre côté, je trouve cela presque dommage. Méditer sur une chaise est pour moi une expérience plus intéressante, qui n'élimine pas totalement l'inconfort.

La philosophie (les discours)

Je m'étais préparé à l'idée que certaines choses ne soient pas en adéquation avec ma vision du monde. Dans la pratique, j'imagine que je peux plus ou moins adhérer à 60-80% de ce qui a été dit par S. N. Goenka dans ses discours. La méditation Vipassana vient directement du bouddhisme, donc je m'attendais à rencontrer certains concepts ésotériques. Je n'ai pas été déçu : il a été question à quelques reprises de karma et, surtout, de réincarnation ; ce dernier mot n'a jamais été prononcé, mais c'est bien de cela qu'il s'agissait.

D'autres concepts pseudo-scientifiques ont été mentionnées, si je me souviens bien, mais c'est surtout la légèreté avec laquelle S. N. Goenka présentait certains de ses arguments qui m'a parfois déçu (biais cognitifs, erreurs de raisonnement, etc.). S. N. Goenka n'est ni un scientifique ni un philosophe. C'est un ancien homme d'affaire qui vante les mérites de la méditation, parfois en se basant sur de bons arguments, parfois pas.

Ce que j'ai toutefois apprécié, c'est l'idée, selon S. N. Goenka, que la technique Vipassana peut être pratiquée indépendamment de toute religion, qu'elle a un côté universel. Je suis d'accord avec lui. C'est vrai d'une technique de méditation très épurée comme Vipassana, mais aussi d'autres techniques de méditation. Et c'est probablement là que je cesse d'être convaincu. S. N. Goenka ne jurait que par Vipassana. Cette obstination a selon moi un côté religieux, malgré le fait qu'il tentait de la justifier par des arguments vaguement scientifiques ou rationnels.

Les chants

La première fois que j'ai entendu les chants de S. N. Goenka (au début du jour 1 ou le soir du jour 0, je ne me souviens plus), j'ai été très étonné. Il s'agit de chants (essentiellement ?) en pali, peu mélodieux, peu rythmés, répétitifs, chantés avec une voix grave et rauque. Bref, je ne suis pas fan. Au début, je pensais que nous n'allions entendre cela qu'une fois, mais ces chants ont ponctué toutes les sessions de méditation de groupe, ainsi que les sessions avant le petit-déjeuner (plus longuement).

Selon S. N. Goenka, ces chants sont censés encourager les étudiants, mais, souvent, cela m'empêchait de me concentrer sur ma respiration ou mes sensations.

Un autre point négatif : quoi qu'il s'en défende, les chants de S. N. Goenka donnent un côté culte aux sessions de méditation de groupe. Malgré cela, avec les jours, j'ai fini par m'y habituer. Parfois, les chants en fin de session étaient synonymes de libération (de la souffrance, de l'inconfort ou de l'ennui). D'autres fois, ils marquaient simplement la fin d'une session "réussie" et devenaient donc synonymes d'une petite victoire.

Paradoxalement, ce sont les chants des premières heures de méditation, les plus longs, auxquels je me suis particulièrement attaché, surtout le "chant de départ", durant lequel S. N. Goenka et sa femme se lèvent et s'éloignent lentement du micro, tout en continuant à chanter. Cet effet a un je-ne-sais-quoi de dramatique qui me plaisait bien.

Un matin, nous avons eu droit à un chant très rythmé. Je n'ai pas pu m'empêcher de m'imaginer un beat à la batterie derrière ce chant très énergique, qui aurait presque pu faire partie d'un mix d'un DJ (style Cut Chemist).

L'absence de divertissement

Avoir mal, méditer plus de neuf heures par jour, ne pas pouvoir parler avec les autres étudiants, tout cela était déjà difficile, mais, le pire, c'est que nous n'avions même pas l'occasion de faire de véritables pauses, le soir ou le week-end. Pas de smartphone, tablette, laptop ou autres, pas d'internet, pas de communication avec l'extérieur, pas de lecture, pas d'écriture, pas de musique, pas de films, pas de séries. Rien

Comme je l'ai expliqué, les promenades étaient le seul divertissement possible durant les pauses plus longues (après les repas). Quelques fois, j'ai fait de petites siestes (sans vraiment dormir). Je sais que plusieurs de mes camarades le faisaient régulièrement. Parce qu'ils étaient fatigués, mais aussi pour que le temps passe plus vite, sans doute. Je ne l'ai pas fait, mais il aurait également été possible de faire quelques petites lessives à la main, chaque deux jours. Pour que le ménage devienne un divertissement potentiel, il faut vraiment que l'ennui atteigne un niveau très élevé...

Ce que j'ai découvert le neuvième jour (un peu tard, donc), après des promenades dans le froid et sous la pluie, c'est que la douche peut également devenir un moment très agréable. Ce jour-là, je me suis douché trois fois...

Evidemment, il aurait également été possible de profiter des pauses pour... méditer. Je ne connais personne ayant poussé la masochisme jusqu'à ce point.

Bref, je ne me suis jamais trouvé dans une situation similaire aussi longtemps. Je me souviens d'un court passage au chalet familial il y a une vingtaine d'années. J'avais prévu de réviser pour des examens. Probablement durant une semaine. Je n'avais que la lecture et la radio comme divertissements. J'ai coupé court à cette expérience au bout de 2-3 jours, tellement l'ennui m'était insupportable.

Nous avons donc goûté à une forme de vie monastique. Cette expérience a-t-elle été éclairante ? Difficile de le dire. J'ai réalisé que j'ai besoin de plus que méditer, manger, dormir et me promener sur le même bout de chemin tous les jours pour avoir l'impression que je vis une vie satisfaisante, mais, ça, je n'avais pas besoin d'un cours Vipassana de dix jours pour le savoir. Je peux certainement me passer d'internet durant plusieurs jours. Ça, c'est intéressant à savoir, mais, à nouveau, je le savais déjà de la période de ma vie où je partais en vacances sans smartphone (il y a une dizaine d'années).

J'imagine que le plus intéressant, finalement, c'est que j'ai besoin de lecture (livres, articles) et d'écriture (journal, blog) dans mon quotidien, mais j'ai aussi besoin de parler à des gens et, ça, pour l'introverti et timide maladif que je suis, ça n'est pas forcément évident. J'aime avoir du temps pour moi, seul, en silence. J'ai besoin de cela plus que la moyenne des gens, mais je ne peux pas non plus passer des jours sans communiquer avec des gens. Je ne suis probablement pas fait pour cela.

Pour ce qui est de l'absence d'écriture, cela a été particulièrement gênant sur la fin, car il y avait un certain nombre de choses que je ne voulais pas oublier de mon expérience et, lorsqu'il est impossible de vider sa tête, de mettre les choses par écrit, mémoriser une liste d'idées accapare beaucoup d'énergie et d'attention. Sur ce point, S. N. Goenka avait également tort : pouvoir écrire au moins quelques idées, quelques mots chaque jour m'aurait été bénéfique et m'aurait permis de me concentrer plus sur la méditation. A un moment, j'ai été tenté de "tricher", mais je n'ai pas trouvé le moindre stylo dans mes affaires...

Jour 4 : une larme pour mon fils

Le jour 4 a été très particulier. C'était le jour où la technique Vipassana nous était présentée. J'étais plus fatigué et, donc, plus émotif que les jours précédents. Durant l'heure de méditation collective du matin, le visage de mon fils, alors âgé de trois mois et demi, parti en vacances avec ma femme et mes beaux-parents, m'est soudainement apparu très clairement, doux et souriant. J'ai eu très envie de le prendre dans mes bras et de l'embrasser. Une larme s'est mise à couler sur ma joue. Je l'ai laissé descendre jusqu'à mon cou.

Jour 4 : bad trip méditatif

Le jour 4, toujours, l'après-midi a été organisé un peu différemment. Nous avons eu deux heures de méditation collective obligatoire, pour que la technique Vipassana puisse nous être enseignée. Ces deux heures ont été très intenses. Durant les trois premiers jours, les explications étaient répétitives, mais simples. Là, durant ces deux heures, nous avons eu droit à de nombreuses explications, de manière assez dense, moins répétitive. Il y avait beaucoup d'information à emmagasiner en peu de temps.

Depuis le début de cette session de méditation, nous nous engagions aussi à garder les yeux fermés en permanence et à ne pas bouger du tout (dans la mesure du possible). Cela a été très douloureux, pour moi, physiquement, mais j'ai aussi eu une montée d'anxiété un peu étrange. Il y avait de la fatigue et de l'émotion, comme je l'ai expliqué, le fait que mon fils me manque.

Je ressentais donc une certaine tristesse, mais aussi quelque chose de l'ordre de la paranoïa, qui s'est développée petit à petit. Cela me semble bizarre de l'écrire ainsi, mais j'avais l'impression d'être observé par l'enseignante (et peut-être par "quelqu'un d'autre" - mais qui ?), même si cela n'était très probablement pas le cas. Je ne devais pas bouger. Je ne pouvais pas ouvrir mes yeux. La douleur était de plus en plus forte. Tous mes questionnements ont ressurgi. "S'agit-il d'un culte ? Que fais-je là, loin de ma famille et de mon quotidien ?"

Puis, vers la fin des deux heures, j'ai entendu un bruit. S'agissait-il de sanglots ? Ou de simples reniflements ? Ce doute a augmenté mon anxiété. J'ai commencé à me dire qu'il y avait réellement quelque chose de malsain dans l'air. Au bout des deux heures, au moment de quitter la salle, j'ai effectivement vu un de mes camarades en pleurs. Personne ne semblait l'aider. Mais l'aider dans quel but ? Il n'était pas en difficulté. Il était simplement assis en train de pleurer. La scène m'a toutefois été très désagréable. J'ai appris plus tard qu'une personne en tout cas était restée proche de lui, pour le soutenir par sa présence.

Bref, je suis sorti de ces deux premières heures de méditation Vipassana dans un état vraiment très étrange, plein de tristesse, d'anxiété, de peurs, avec de la douleur physique dans mon dos et mes jambes. Puis je suis allé me promener et, petit à petit, je suis revenu à la réalité. Les arbres, l'air frais, tout cela m'a fait du bien et m'a permis de redevenir un peu plus objectif. J'avais juste eu un peu plus mal que d'habitude au dos et aux jambes, durant une journée émotionnellement difficile. Mon camarade en pleurs semblait quant à lui avoir traversé une expérience cathartique. Rien de dramatique. J'avais l'impression de sortir d'un tunnel. Ou d'un cauchemar.

Des visiteurs du passé

On m'avait averti qu'un cours Vipassana de dix jours pouvait faire ressurgir des éléments négatifs du subconscient. Pour moi, le jour 4 en a été la preuve. En dehors de l'ennui et de la douleur, les autres jours ont été plutôt normaux.

J'ai toutefois vécu une expérience inédite, quelque chose qui ne m'était jamais arrivé auparavant. Je ne sais plus quand le phénomène a débuté, mais des visages me sont régulièrement apparus durant mes sessions de méditation. Il s'agissait la plupart du temps de personnes que je n'avais pas vues depuis très longtemps (peut-être 15-20 ans, pour les premières). Je les voyais très clairement, comme si je possédais une mémoire photographique (ce qui n'est pas le cas). Il ne s'agissait pas de rêves éveillés, avec un scénario compliqués. Non, je voyais juste des visages, statiques, comme si j'étais en train de regarder une photo, que je pouvais analyser dans ses moindres détails. C'était une sensation vraiment extraordinaire !

Sans chercher à ce que ce phénomène persiste, d'autres visages me sont apparus avec les heures, puis les jours qui passaient. Globalement, je dirais que ces personnes surgies du passé étaient associées à des périodes de plus en plus anciennes de ma vie (jusqu'à l'âge de 4-6 ans environ).

Je me demande si ces "hallucinations" photoréalistes étaient causées par la méditation prolongée, par l'absence de divertissement, par le fait que j'évitais le regard des autres personnes ou par une combinaison de tous ces facteurs. Une chose me paraît certaine : mon cerveau avait besoin de voir des visages. Il me le faisait comprendre de manière très intense, très évidente.

Jour 10 : rupture du silence et debriefing

Le jour 10, à la fin d'une session de méditation de groupe, vers 10h, nous avons pu "rompre le silence". Juste après être sorti de la salle de méditation, je suis monté à l'étage pour aller aux toilettes. En ouvrant la porte pour en sortir, j'ai soudainement entendu un brouhaha absolument assourdissant provenant du rez-de-chaussée (du réfectoire). Un tel bruit dans ce lieu habituellement silencieux m'a paru absurde. J'ai hésité à descendre les escaliers. Puis je me suis décidé et ai rejoint la foule en discussion.

Cela me faisait très bizarre de parler à nouveau. J'avais communiqué très ponctuellement avec le manager du cours et l'enseignante, mais en chuchotant. Mes cordes vocales n'étaient donc plus habituées à fonctionner normalement. En même temps, cela m'a fait énormément de bien. J'ai pu discuter avec mes trois voisins de chambre, puis avec de nombreuses autres personnes (en anglais et en français). Nous avons pu apprendre un peu à nous connaître.

Il y avait des gens de tous âges, disons d'une petite vingtaine d'années pour le plus jeune (un étudiant en bachelor de biologie, si je me souviens bien) à 75-80 ans pour les plus âgés. Beaucoup d'étudiants avaient aux alentours des 30-40 ans, je pense.

Quelqu'un n'ayant pas de connaissances particulières à propos de la méditation m'a fait la remarque quelques jours après mon retour à la vie normale que ce genre de cours devait attirer pas mal de gens "instables" et je dois dire que je suis un peu obligé de lui donner raison : j'ai rencontré pas mal de gens en transition professionnelle ou personnelle, en recherche de sens, d'équilibre ou de changement, etc. Il ne s'agissait pas forcément d'une majorité, mais c'était un point commun entre plusieurs de mes camarades. L'un n'empêche pas l'autre, mais j'ai également rencontré beaucoup de gens drôles, intelligents et cultivés.

Jour 11 : départ

Le cours était plus ou moins terminé, mais, le jour 11, le jour du départ, nous nous sommes tout de même levés à 4h. Pour la onzième fois. Ce jour-là, le réveil a été un peu plus difficile que d'habitude. La veille, j'étais tombé malade. Rhume : un classique. Je n'avais pas très bien dormi.

Il y a eu une dernière méditation de groupe, pas trop difficile, puis un dernier discours, plus difficile à entendre, cette fois-ci, car je me remémorais toutes les critiques négatives que nous avions pu faire la veille, sur le manque de sens critique de S. N. Goenka, en particulier.

Après notre dernier rassemblement dans la salle de méditation, il a été temps de nettoyer le centre. Mes affaires ont été vite rassemblées. Un coup d'aspirateur dans notre chambre. Le reste du centre a été rangé et nettoyé par des volontaires. J'ai fait le fainéant : j'ai laissé la feuille d'inscription se remplir et n'avais donc rien à faire. Je suis allé me promener sur le sentier réservé aux femmes, plus long que le nôtre.

Puis, pour boucler la boucle, je suis retourné me promener du côté des éoliennes et de la centrale solaire, comme à mon arrivée, le jour 0.

De retour au centre, qui s'était déjà bien vidé, j'ai discuté encore avec quelques personnes. J'ai eu de la peine à partir. Vers 9h, il devait y a voir moins de dix étudiants dans le centre. J'ai salué les personnes avec qui j'étais, puis, le coeur serré, je suis allé à ma voiture et suis parti. Le fait de conduire un véhicule m'a paru étrange. J'ai ressenti le besoin de rouler lentement. Après un certain temps, je me suis arrêté et ai donné des nouvelles à ma femme, puis à ma mère. Même impression que pour la conduite : cela m'a fait bizarre de discuter avec des gens de "l'extérieur". Le retour à la maison a été ensuite assez facile, étonnamment.

Conclusion

Je me suis régulièrement dit que ce cours Vipassana était l'une des choses les plus difficiles que j'aie faites dans ma vie. Je ne sais pas si cela a un sens de dire les choses comme cela, mais c'est ainsi que je l'ai régulièrement ressenti.

Est-ce que je referais un tel cours ? Le cerveau humain est fantastique : sa résilience fait que nous sommes souvent prêts à revivre des évènements difficiles (accouchements, etc.). Donc je dirais que cela n'est pas dans mes plans actuels, mais qui sait ? En tout cas pas avant de nombreuses années, j'en suis presque certain. Toutefois, en tant "qu'ancien étudiant", j'ai maintenant l'opportunité de suivre des cours plus longs (!), mais aussi plus courts. Je me vois déjà plus facilement refaire un cours d'un jour ou trois jours, pour rafraîchir ma technique.

Est-ce que je recommanderais un tel cours ? Pas à un débutant, à qui je proposerais plutôt une application sur smartphone (Headspace, en anglais, ou Petit BamBou, en français). J'ai été vraiment étonné d'apprendre que certains participants au cours n'avaient jamais médité de leur vie !

Les recommandations finales de S. N. Goenka (deux heures de méditation par jour et un cours de dix jours par année) sont franchement en décalage par rapport à la réalité de notre monde. Si le but est de convaincre le plus de monde possible de pratiquer la méditation Vipassana, il me semble que c'est une mauvaise approche.

S. N. Goenka propose la méditation un peu comme une solution universelle à tous les maux (si on "lit" entre les lignes - il ne le présente pas ainsi). Comme je l'ai déjà dit, cette approche me semble incorrecte. Certaines personnes ayant participé au cours bénéficieraient clairement d'autres solutions (apprentissage de méthodes de gestion du temps à la Getting Things Done, plus de sport, meilleure nutrition, psychothérapie, etc.). 

Certains des conseils de S. N. Goenka sont même carrément dangereux : il recommande de dormir une heure en moins chaque nuit pour pouvoir méditer plus. Sérieusement. Alors que nous vivons dans une société en manque de sommeil. C'est presque criminel... Et, comme je l'ai mentionné plus haut, rien sur le sport ou la nutrition.

On peut aussi se demander si 800 heures de méditation par an (si l'on suit scrupuleusement les recommandations de S. N. Goenka) sont une bonne utilisation de son temps. Si l'on souhaite développer son bien-être personnel, c'est peut-être une bonne piste, mais qu'en est-il du bonheur des autres ? Rien n'a vraiment été dit sur le sujet. Suffit-il d'être heureux pour rendre les autres heureux ? Je n'en suis pas sûr.

En définitive, je suis content d'avoir fait cette expérience. J'ai découvert une nouvelle technique de méditation, vécu des choses que je n'avais jamais vécues auparavant, testé ma tolérance à l'absence de divertissement et fait des rencontres enrichissantes. L'enseignement de S. N. Goenka m'a toutefois laissé sur ma faim. J'ai besoin d'une approche plus moderne de la méditation, plus scientifique (et non pseudo-scientifique), plus critique et mieux intégrée à ma vie actuelle. Ce que je lis et entends de la part de Sam Harris depuis des années maintenant sur le sujet me paraît correspondre plus à mes attentes, par exemple. Il vient de sortir une application pour smartphone, que je n'ai pas encore testée. Pour l'instant, j'ai cessé d'utiliser Headspace et je pratique encore la méditation Vipassana. On verra si je ressens le besoin de passer à autre chose prochainement.

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