En écoutant une interview d'Eric Leeds (saxophoniste de Prince en 1984-89, ainsi qu'en 1994-96 et 2002-03), j'ai été surpris de l'entendre déclarer qu'il n'avait "plus d'intérêt pour la musique" :
"I've got to to be absolutely honest with you. I no longer have interest in music. I mean, as far as the music that I love, which was basically R&B and jazz. I still listen to some young jazz artists, but I don't seek out new music any longer. Which doesn't mean that if I stumble upon something that I wouldn't enjoy it. It's just that, for me, I've heard it all."
C'est une manière de parler, je suppose. Il faut comprendre par là qu'à 65 ans, il ne cherche plus activement à découvrir de nouveaux musiciens et qu'il juge avoir suffisamment exploré l'univers de la musique. J'imagine qu'il a néanmoins toujours du plaisir à jouer, ainsi qu'à écouter les musiciens et albums qu'il connaît et apprécie.
Je dois avouer que j'ai une certaine sympathie pour cette manière de penser, même si je n'en suis pas encore au stade d'Eric.
D'abord, il y a l'effet de l'âge : la musique que nous écoutons durant notre adolescence laisse une trace particulière dans notre cerveau. Il s'agit là d'un biais cognitif qui fait que nous aimons beaucoup plus cette musique-là que celle que nous découvrons plus tard. Je soupçonne que ce phénomène est présent, de manière plus subtile, tout au long de notre vie. Cela réduit du coup fortement les potentiels "coups de coeur" musicaux à partir d'un certain âge.
D'abord, il y a l'effet de l'âge : la musique que nous écoutons durant notre adolescence laisse une trace particulière dans notre cerveau. Il s'agit là d'un biais cognitif qui fait que nous aimons beaucoup plus cette musique-là que celle que nous découvrons plus tard. Je soupçonne que ce phénomène est présent, de manière plus subtile, tout au long de notre vie. Cela réduit du coup fortement les potentiels "coups de coeur" musicaux à partir d'un certain âge.
Ensuite, il y a un phénomène purement physique, presque mathématique : l'espace des possibilités musicales est limité. C'est presque triste à dire, mais, connaissant Miles Davis, j'ai moins d'intérêt pour tous ces jeunes trompettistes qu'on rencontre dans les petits festivals, dans les clubs, etc., même s'ils sont bons, même s'ils sont enthousiastes. Beaucoup d'excellents musiciens ont déjà "ouvert la voie". Au bout d'un moment, il devient difficile d'innover, de trouver un nouveau vocabulaire musical, de nouvelles approches. A l'inverse, tant qu'on n'a pas rencontré un Keith Jarrett, il est plus facile de s'enthousiasmer pour un jeune pianiste doué.
Je sais que je parais forcément un peu blasé, mais je ne dis pas qu'il n'y a de la place que pour un seul guitariste, un seul saxophoniste, un seul groupe de rock, etc. sur cette planète. Je dis simplement qu'un John Coltrane rend la tâche d'un nouveau saxophoniste plus difficile. Il n'y a pas une place infinie dans le monde de la musique. Nos oreilles sont trop limitées pour cela. Ça n'est pas un problème de talent. Beaucoup de gens ont du talent. Mais, au bout d'un moment, le talent, face au génie de certains, ne suffit pas.
Le phénomène ne s'applique d'ailleurs pas qu'aux musiciens, mais aussi aux genres musicaux. On voit bien qu'on atteint parfois les limites, purement physiques, à nouveau, de l'exploration : après 4'33" de John Cage, la noise music (Merzbow, etc.), la black MIDI, etc., peut-on vraiment imaginer quelque chose de véritablement novateur ?
Enfin, il y a notre finitude. Oui, je veux parler de la mort. Ça n'est pas très réjouissant, mais notre temps est limité. Il peut d'ailleurs être utile de représenter chaque semaine de sa vie sous forme de tableau pour se convaincre, intuitivement, au niveau des tripes, que la vie est courte, très courte, et que, par conséquent, notre temps est précieux, trop précieux pour le perdre avec de la mauvaise musique, des mauvais films, des mauvais livres, des mauvaises relations, etc. Ou pas forcément mauvais, mais juste moyens.
Dans cet esprit, et après avoir vu La La Land, j'ai eu envie de me replonger sérieusement dans le jazz. C'est une musique que j'aime et que je connais, mais pas assez, je l'ai réalisé. En 2017, je vais donc découvrir ou redécouvrir des classiques du jazz : les incontournables que je connais déjà, comme Kind of Blue de Miles Davis, A Love Supreme de John Coltrane, Time Out de Dave Brubeck ou The Shape of Jazz to Come d'Ornette Coleman, mais aussi les dizaines d'autres albums que je ne connais que de nom, mais que je n'ai jamais pris le temps d'écouter, et tous les autres, dont j'ignorais jusqu'à l'existence.
Car, contrairement à Eric Leeds, je n'ai pas encore tout entendu.
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