Wednesday, December 25, 2013

Sony, Prince et la madeleine de Proust

C'était en juin ou juillet 1989. J'avais alors onze ans et j'avais reçu un radiocassette Sony CFS-50IL pour mon anniversaire. Mon obsession, à l'époque, c'était la radio. J'étais absolument fasciné par l'idée que l'on puisse transmettre des signaux sonores à distance, sans aucun câble - à bien y réfléchir, je le suis toujours ! J'avais d'ailleurs insisté pour que mon radiocassette puisse recevoir les ondes courtes (SW) et je passais régulièrement des heures à écouter des stations internationales, parfois dans des langues que je ne comprenais même pas, ou des numbers stations, dont je ne connaissais à l'époque ni le nom ni la nature. Toutes ces voix lointaines, tous ces bruits mystérieux, m'étaient accessibles simplement en manipulant quelques boutons, depuis le confort de ma chambre. Quatre ans plus tard, en 1993, j'allais rentrer en contact pour la première fois avec Internet, qui allait évidemment tout changer en matière de télécommunications - et, du coup, diminuer mon intérêt pour la radio.

Je ne sais plus pour quelle raison exactement, mais il m'arrivait d'enregistrer des émissions sur des cassettes, un peu au hasard. Une sorte de jeu, peut-être. Cet été-là, je me souviens très clairement avoir enregistré de la musique diffusée sur Couleur 3, une radio suisse, spécialisée dans la pop/rock. Deux morceaux m'ont marqué. J'ignorais alors absolument tout de leurs interprètes, mais cela m'importait peu.

Le premier morceau ne ressemblait à rien d'autre que j'avais pu entendre jusque là : un patchwork baroque, funky, rock, plein de samples dramatiques dont je ne comprenais pas la signification. Et puis, surtout, il y avait ce solo de guitare (à 2:23 dans la vidéo YouTube plus bas), absolument électrique, "hard", que je pouvais écouter en boucle tellement son pouvoir de fascination était grand. Quelques mois plus tard, en 1990, mon frère achetait Batman, de Prince, et j'ai alors réalisé que le morceau que j'avais enregistré à la radio était en fait "Batdance" (à s'imaginer sans la vidéo, complètement kitsch, il faut bien l'avouer...) :


C'était pour pour moi le début d'une passion, qui dure encore, pour la musique de Prince. Des centaines de disques plus tard, en 2013, je suis toujours les aventures improbables de cet artiste décalé, irrationnel, frustrant, mais capable d'une musicalité dont, à mon avis, aucun autre artiste pop/rock/funk n'est capable.

Le second morceau, quant à lui, m'avait aussi marqué, mais nettement moins que le premier. Quelque chose avait définitivement retenu mon attention, mais je n'ai jamais découvert son titre ou son interprète. Quelques mois plus tard, je l'ai entendu à nouveau à la radio - ou, plus exactement, à la télévision, lorsque la radio était encore diffusée sur la mire, avant les premiers programmes du matin... Puis j'ai réutilisé la cassette sur laquelle je l'avais enregistré, ainsi que "Batdance", pour d'autres enregistrements. Tout ce qui me reste de cette chanson, un souvenir extrêmement flou, c'est une voix féminine, éthérée, sur des arrangements plutôt électroniques. Décidément plus de la pop que du rock. Durant plus de vingt ans, cette chanson est régulièrement revenue hanter ma nostalgie.

Il y a quelques temps, j'ai découvert que Couleurs 3 avait créé des playlists pour tous leurs "repérages" depuis 1983. Je me suis donc empressé d'écouter les repérages du premier et second semestre de 1989. Une de ces chansons a immédiatement provoqué un déclic en moi :



Le titre, "Waltz Darling", ne me dit rien. Le nom, Malcolm McLaren, non plus - j'ai appris en lisant l'article Wikipedia qui lui est consacré qu'il avait été manager des Sex Pistols. Mais certains éléments sont là : la voix de femme (Lourdes, une chanteuse déjà obscure à l'époque et retombée dans l'obscurité depuis ?), planante, en particulier sur le refrain (de "A sweet tuxedo girl you see" à "Just the kind for sport I'm told"). Et il est fort probable que cette mélodie orientale ait pu plaire à mes oreilles d'enfant de onze ans. De plus, il y a le fait que les singles de "Batdance" et "Waltz Darling" semblent avoir été publiés au même moment, à quelques semaines près.

Je ne suis donc pas sûr qu'il s'agisse vraiment de la bonne chanson, mais, en regardant cette vidéo, quelque chose m'a transporté en 1989. C'est la seule, parmi les dizaines que j'ai visualisées, à avoir eu cet effet troublant sur moi. C'est peut-être un tour que me joue mon imagination, mais c'est pour moi surtout un exemple parfait du pouvoir évocateur de la musique, une confirmation qu'elle fait partie intégrante de ma vie. Comme l'a dit un musicien un jour, "music is the soundtrack to our life".

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